Chapitre précédent | Table des matières | Chapitre suivant |
1.1 Tag, throw up, pieces
Au sein du graffiti hip-hop, des formes très variées se côtoient,
comme l’on s’en convainc facilement en regardant les murs de la
Chaux-de-Fonds. Ces différences sont même si grandes que l’on
peut se demander parfois si tag et graff par exemple ont quelque chose en commun.
Pourtant, ces formes sont produites en parallèle par les mêmes
artistes, qui jouent d’ailleurs sur leur complémentarité.
Ainsi Soy, par exemple, peut être l’auteur de tags (Ill.
58), de graffs (Ill.
59) et de formes intermédiaires (Ill.
60 et 59) en
général regroupées sous le nom de “throw-up“.
En fait, le writer se fait fort d’avoir une palette assez large
pour pouvoir s’attaquer à plusieurs types de supports et chacune
de ses œuvres prend alors une fonction particulière.
Afin de classifier ces formes, les auteurs s’accordent à l’unanimité
sur la mise en place de trois catégories : le tag, le graff ou la “piece“
et le throw up (note 96). Les termes “graff“ et “piece“
sont des synonymes, mais nous préférerons ici “graff“,
plus fréquemment utilisé en français. Il faut donc prendre
garde à ne pas confondre un “graff“ ni avec le “graffiti“
(terme générique dont “graff“ n’est pas une
simple abréviation) ni avec le “graffiti hip-hop“ (dont le
graff n’est que l’une des composantes).
Cette catégorisation simple se basant en partie sur des critères
très pratiques comme la taille ou le nombre de couleurs utilisées,
contrairement aux catégorisations “stylistiques“ sur lesquelles
nous reviendrons par la suite, semble utile et pertinente. En effet, tag et
graffs sont suffisamment différents, comme nous allons le montrer, pour
qu’il soit judicieux d’en aborder les formes séparément.
Le tag (Ill. 58)
est une signature utilisant un pseudonyme, formé presque toujours de
trois à cinq lettres. Il est effectué en quelques traits d’une
seule couleur. Sa taille reste relativement modeste et ne dépasse en
général pas les cinquante centimètres carrés.
Le graff (Ill. 61)
est de taille plus conséquente : sa longueur peut atteindre plusieurs
dizaines de mètres dans certains cas, mais est rarement inférieure
à un mètre cinquante. Il est toujours constitué de deux
couleurs au minimum. Alors que le trait, comme dans l’écriture
manuscrite, dessine la lettre dans le tag, il en délimite la surface
dans le graff. En plus du lettrage lui-même, un graff est souvent composé
d’un arrière-plan, de personnages et de différents autres
éléments. Le tag utilise également des éléments
qui viennent s’ajouter aux lettres mais ceux-ci sont réduits à
leur strict minimum et ne dominent jamais la composition. Le graff, comme le
tag, reprend en général le pseudonyme de l’artiste ou de
son crew mais, dans quelques cas, il utilise un lettrage totalement
différent. L’une des différences fondamentales entre tag
et graff est d’ailleurs que le tag reproduit sans cesse la même
forme et vise à la reconnaissance par la multiplication d’un logo,
alors que le graff produit en général des formes uniques dont
la reconnaissance passe par la maniera de l’artiste ainsi que
par des éléments précis d’identification comme des
personnages récurrents ou simplement une signature sous forme de tag.
Ainsi, en comparant deux graffs du même auteur (Ill.
62 et 63),
on se rend compte que si les lettres (“SOY“ dans les deux cas) ne
sont pas identifiables immédiatement, la façon de les décomposer,
de les mettre en perspective avec un élément rayé similaire
et de les remplir de motifs similaires permet en quelques secondes de rapprocher
les deux œuvres. De plus, les deux graffs sont signés (en bas à
droite sur l’illustration
62 et dans le lettrage en bas à gauche pour l’illustration
63), comme pour offrir une deuxième possibilité d’identification
au spectateur. Pourtant, comme le fait Martine Lani-Bayle (note 97) par exemple,
il ne faut pas penser que le tag est une façon d’être connu
et le graff une façon d’être reconnu. Si le tag est une forme
multipliée et effectuée rapidement, cela ne veut pas dire qu’elle
soit considérée comme inférieure ou qu’elle ne puisse
pas amener une forme de respect : par sa composition comme par sa multiplication,
il peut forcer la reconnaissance, au même titre que le graff. A l’opposé,
un graff jugé de mauvaise qualité pourra être “toyé“
et son auteur dévalué aux yeux des autres writers.
Tag et graff sont donc des formes de graffiti hip-hop tout à fait différentes
répondant à des procédés bien distincts. C’est
pour cette raison que nous allons ici traiter ces deux formes séparement.
Le “throw-up“ (Ill.
64 et 65),
quant à lui, est défini d’une manière plus floue
(note 98) : c’est une forme entre le tag et le graff, pouvant atteindre
la taille d’un graff mais n’utilisant en général qu’une
couleur, parfois deux. Des traits simples délimitent la surface de ses
lettres qui est parfois remplie d’une deuxième couleur. Ses lettres
sont toujours effectuées rapidement et sont peu imbriquées les
unes dans les autres. C’est en fait un grand tag par sa rapidité
d’exécution et son caractère reproductible, mais un graff
simplifié par le fait que les lettres ne sont pas simplement des traits
mais des surfaces. Nous ne jugeons pas ici utile d’étudier spécifiquement
cette forme, certes répandue à la Chaux-de-Fonds, mais dont les
caractéristiques peuvent être rapprochées tantôt du
tag, tantôt du graff.
1.2 Du tag au graff ?
Le tag et le graff sont deux types de graffiti hip-hop qui vivent en parallèle.
Il n’existe pas d’évolution linéaire du tag au graff,
ni dans l’histoire du graffiti chaux-de-fonnier, ni dans les carrières
individuelles des artistes. Ainsi, l’une des premières œuvres
datées que l’on trouve à la Chaux-de-Fonds (Ill.
44) est un graff dont les signatures ne sont pas des tags mais simplement
des prénoms écrits de façon tout à fait ordinaire.
On a donc ici la preuve que le tag ne précède pas forcement le
graff, comme certains le prétendent, sans jamais donner pour autant d’exemples
concrets (note 99). De plus, on se rend rapidement compte que les artistes qui
réalisent des graffs, réalisent également des tags en parallèle
: deux œuvres de Soy (Ill.
66 et 67) datées
de 2002 peuvent l’attester et montrent qu’un tag n’est pas
considéré comme une forme inférieure, comme un travail
plus “facile“ que l’on réaliserait avant de savoir
graffer.
Si le graff était une forme plus avancée du tag, ce dernier n’existerait
plus aujourd’hui, ce qui est loin d’être le cas à la
Chaux-de-Fonds. Tags et graffs font donc partie simultanément de la palette
des writers, qui les utilisent pour répondre à des envies
et à des conditions de réalisation différentes.
2.1 Le tag
Le tag est une signature généralement effectuée dans des
conditions particulières : traditionnellement illégal, il doit
être réalisé aussi rapidement que possible et le fait qu’il
doive pouvoir être reproduit de jour comme de nuit sur tout type de support,
donc avec des techniques différentes, demande que l’artiste connaisse
parfaitement son logo. Si sa réalisation ne prend que quelques secondes,
le développement de cette forme demande donc des heures de travail (note
100). En analysant les formes du tag, il faudra donc toujours garder en tête
ses conditions de réalisation quelque peu particulières. Ce type
de graffiti répond d’ailleurs à ces contraintes spécifiques
par des caractéristiques formelles et des procédés précis
qui peuvent appeler à des comparaisons avec le domaine de la calligraphie
ou de la signature.
2.2 Les formes du tag
Le tag utilise généralement des lettres majuscules, bien que les
exceptions soient nombreuses. Pourtant, à l’opposé de ce
que l’on observe habituellement dans la calligraphie, ces majuscules ne
sont pas complètement séparées les unes des autres mais
reliées comme dans l’écriture manuscrite liée. Cette
particularité répond à la double exigence liée aux
supports traditionnels du tag. D’un côté fait pour pouvoir
être lu partout, parfois à une distance importante, parfois depuis
un support en mouvement, parfois encore sur un support en mouvement, ses lettres
doivent pouvoir être identifiées très rapidement et cela
justifie le choix d’une écriture majuscule, à la manière
d’un titre de journal qui veut frapper l’attention (note 101). De
l’autre, il doit pouvoir être réalisé en quelques
secondes afin que soient réduits les risques d’être pris
en flagrant délit dans un endroit illégal, et l’écriture
liée est plus apte à répondre à ce besoin (note
102). Cette ambivalence mène les tagueurs à chercher des moyens,
allant à l’encontre de toutes les règles, de lier entre
elles des lettres majuscules. La recherche d’une scriptio continua
(note 103) n’est pas seulement un besoin purement pratique
de vitesse mais également une volonté de créer un tag qui
ait l’air en mouvement et qui forme un tout, un logo. Les liaisons peuvent
alors être réalisées par simple superposition des lettres
(Ill. 04), par
des éléments de lettres qui rejoignent leurs voisines, comme la
barre d’un “T“ qui fait le lien avec un “H“ par
exemple (Ill. 68)
ou encore par la déformation d’un élément, comme
une barre de “T“ qui relie plusieurs lettres entre elles (Ill.
69).
Le déformation et l’exagération de certaines parties des
lettres, un jambage de “K“ allongé (Ill.
70) ou un “H“ transformé en spirale (Ill.
71) par exemple, constituent d’autres procédés habituels
qui témoignent d’une volonté de donner un rythme au tag,
de le mettre en mouvement. Dès lors, lorsque la composition l’exige,
on n’hésitera pas à mêler des lettres minuscules aux
lettres majuscules, si celles-ci sont plus intéressantes à déformer
ou s’insèrent mieux dans l’ensemble. Le “A“ est
ainsi fréquemment remplacé par un “a“ (Ill.
72) et le “E“ par un “e“ (Ill.
69) (note 104). De la même manière, le “K“ qui
offre beaucoup plus de possibilités que le “C“ remplace souvent
ce dernier, comme l’on peut s’en rendre compte en comparant les
illustrations 71
et 70.
L’idée de rythme, comme dans la calligraphie arabe (note 105),
est une notion capitale dans le tag. Les lettres ne restent donc presque jamais
statiques mais entrent en mouvement soit en se liant les unes aux autres, soit
par un processus déformant ou additif. Ainsi, un jambage exagérément
allongé et courbé (voir le “K” de l’illustration
73) par exemple, mène à un effet dynamique similaire aux déformations
d’autographes arabes (Ill.
74). Différents éléments additifs, que nous allons
aborder par la suite, participent également à cette quête
de rythme. Cette recherche de dynamisme se fera même parfois au détriment
de la lisibilité (Ill.
75) : une trop grande déformation des lettres et une superposition
trop importante peut mener à la quasi-impossibilité de reconnaître
les lettres de la signature. Stiennon note le même phénomène
concernant les écritures cursives : elles permettent une réalisation
plus rapide mais elles sont plus difficiles à lire (note 106). Les déformations
prennent souvent la forme de simples allongements d’une partie de certaines
lettres, spécialement à la fin de la composition (Ill.
73, 76, 77).
Dans la calligraphie arabe, de longues ligatures sont parfois utilisées,
prolongeant le début ou la fin des mots, pour faire les liens entre différents
mots du texte (note 107). Il est intéressant de noter que si les formes
du tag semblent parfois très proches de certains aspects de la calligraphie
arabe (note 108), elles se lisent par contre toujours de gauche à droite
ou de haut en bas (note 109) et représentent majoritairement des pseudonymes
à consonance francophone ou anglophone.
Le tag est une forme condensée, parfois une abréviation du pseudonyme
complet de l’artiste. Rydok signe par exemple par les lettres “RDK“
(Ill. 73). Dans
le choix de son pseudonyme comme dans celui des lettres à garder en cas
d’abréviation, la part de l’esthétique a une importance
capitale (note 110). Ainsi, les lettres “K“, “S“ ou
“R“, qui offrent de nombreuses possibilités de déformation,
auxquelles on peut facilement donner un aspect dynamique, sont bien plus présentes
que les “V“, “U“ ou “C“ par exemple (note
111). Hassan et Isabelle Massoudy (note 112) font le même type de constatation
concernant “Alif“, première lettre de l’alphabet arabe,
très utilisée par les calligraphes pour le grand nombre de possibilités
de composition qu’elle offre.
Si le tag est réalisé rapidement, ce qui contribue à en
faire une forme dynamique, ce n’est pas seulement parce que le writer
se livre à un jeu de cache-cache avec les forces de l’ordre, mais
également parce que la bombe de peinture produit des coulures si le trait
n’est pas effectué assez rapidement (note 113). Un artiste comme
Georges Mathieu, dont les formes sont souvent très proches de celles
du tag (Ill. 11),
privilégie lui-aussi le mouvement. Pour Mathieu, la vitesse est un moyen
d’atteindre un pureté dans ses traits et de garantir une unité
à son œuvre (note 114) ; sa démarche se rapproche donc tout
à fait de celle des tagueurs qui cherchent à créer une
œuvre dont les lettres sont soudées et dont les traits sont nets.
Le peintre semble également partager avec les tagueurs un certains goût
de l’excès, du baroque diront certains (note 115), et de la performance.
Comme les writers, il crée certaines œuvres en extérieur,
souvent en public (note 116). Outre le fait de mettre le doigt sur la ressemblance
troublante entre les œuvres de Mathieu et les tags, ce rapprochement montre
surtout, si besoin était, que les tags répondent à des
procédés similaires à ceux de créateurs dont on
ne met pas en cause la qualité “artistique“. Mathieu insiste,
en plus, sur le fait qu’une toile peut être terminée très
rapidement, même si cela va à l’encontre des idées
occidentales (note 117). Cela peut nous amener à réfléchir
sur le statut du tag, souvent déconsidéré parce qu’il
a été réalisé rapidement et que, par conséquent,
il ne peut pas être aussi “important“ qu’un graff qui
a demandé des heures de travail.
2.3 Eléments additifs
Si les 26 lettres de notre alphabet constituent le matériau essentiel
à la construction du tag, différents éléments viennent
parfois s’ajouter aux lettres. Ces ajouts sont des formes simples qui
ne perturbent pas le lettrage lui-même mais le mettent en valeur ou le
complètent. On peut les classer en quelques catégories qui regroupent
la quasi-totalité de ce que l’on peut voir à la Chaux-de-Fonds.
Ces éléments sont en grande partie toujours les mêmes que
ceux qui étaient ajoutés aux premiers tags new-yorkais (note 118).
Fraenkel montre par ailleurs que l’ajout de signes spécifiques
dans la signature, dès le Moyen âge, peut être un moyen supplémentaire
d’assurer une reconnaissance, de distinguer le notaire du roi d’un
notaire apostolique par exemple (note 119). Dans le tag, ces éléments
additifs pourront aussi servir de moyen d’indiquer la “fonction“,
ou plutôt “le rang“ que veut se donner un tagueur.
a) Flèches
La flèche est sans conteste l’un des éléments qui
accompagne le plus souvent les lettres du tag. Si elle garde en général
plus ou moins la même forme, elle remplit des fonctions totalement différentes
suivant les cas. La flèche peut ainsi jouer trois rôles bien distincts.
Tout d’abord, à la manière des petites mains à l’index
tendu que l’on peut trouver dans certains seings du XIVème, la
flèche peut avoir une fonction monstrative, selon la terminologie de
Fraenkel (note 120). Ainsi, Soy (Ill.
78) et Scote (Ill.
80) peuvent utiliser des flèches pour indiquer le début de
leurs tags. Elles mènent le regard sur l’objet principal de la
composition, mettant en valeur leurs tags.
Le deuxième rôle de la flèche est d’appuyer l’impression
de dynamisme donné par les lettres du tag. Dans plusieurs exemples (Ill.
70 et 80),
elle sert non pas à indiquer où se trouve le tag mais plutôt
à montrer dans quelle direction celui-ci entre en mouvement. La flèche
peut ainsi ajouter une dynamique et souligner celle que les lettres créent
d’elles-mêmes. Il arrive fréquemment que la flèche
perde son extrémité pour ne devenir plus qu’un trait. Ce
trait pourra pourtant toujours produire le même effet (Ill.
66).
Finalement, comme nous le verrons par la suite (note 121), la flèche
peut être un moyen d’adapter le tag à son support en jouant
avec les particularités de celui-ci.
b) Chiffres
Chaque tagueur possède, en général, son propre tag que
lui seul sait reproduire. Pourtant, certains crews utilisent un tag collectif
que chaque membre utilise, en plus de sa signature personnelle (note 122). C’est
dans ce type de tags que l’utilisation de chiffres est la plus fréquente.
Les exemples sont nombreux à la Chaux-de-Fonds (Ill.
81, 82 et 83).
L’utilisation de chiffres permet à plusieurs personnes de créer
facilement une forme similaire, ce qui serait certainement plus difficile avec
des lettres (note 123). Ces chiffres forment parfois une sorte d’énigme
lisible uniquement par les initiés. C’est le cas du “307“
et du “367“ de l’illustration 83. En effet, ces deux nombres
sont des déclinaisons d’une même idée, permettant
d’ailleurs d’avoir des renseignements sur leurs auteurs. On l’a
vu (note 124), l’un des artiste de proue du graffiti hip-hop chaux-de-fonnier
est domicilié à la rue de la Ronde 37 ; c’est d’ailleurs
justement sur ce bâtiment que ces deux tags se trouvent. On a vu également
que la rue de la Ronde est un véritable repère de writers,
un haut lieu du graffiti chaux-de-fonnier. Il y a quelques années, un
immeuble squatté de la place du marché, couvert de graffiti, avait
pour adresse place du marché 6. Ainsi “367“ est une façon
de désigner les writers de ces deux lieux et “307“
ceux de la Rue de la Ronde.
Autre utilisation fréquente des chiffres : les codes postaux. On montre
ainsi d’où l’on vient, on “représente“
sa ville. On trouve ainsi à la Chaux-de-Fonds des “2300“
(Ill. 16 et 84)
qui montrent aux visiteurs que la ville est acquise au mouvement hip-hop et
d’autres codes qui attestent de la visite de writers extérieurs
(Ill. 57 et 85).
Dès le début du graffiti hip-hop, les chiffres servent à
marquer une origine, soit par un code postal, soit par un numéro de rue
(note 125). Ce jeu codé sur l’origine de l’artiste se retrouve
d’ailleurs chez plusieurs peintres utilisant des symboles représentant
leur ville natale dans leurs signatures (note 126).
Le chiffre “1“ (ou “one“ écrit en toutes lettres)
a, quant à lui, une signification bien particulière. C’est
incontestablement celui que l’on rencontre le plus souvent dans les tags,
toujours à la suite des lettres. Il sert à souligner l’aspect
unique et original du tagueur (note 127). Il semble n’être ajouté
qu’à la suite de pseudonymes de writers confirmés
dont la notoriété est déjà assurée par de
nombreux tags (Ill. 70, 69
et 86) . Le chiffre “1“
sert alors à montrer que l’on appartient à la catégorie
des “numéros 1“ et appuie le fait que l’œuvre
est bel et bien autographe.
Enfin, le chiffre peut être utilisé pour créer une forme
de rébus (note 128), permettant au passage de réduire le nombre
de signes utilisés, créant un tag plus compact et plus rapide
à effectuer. “Fortune“ peut alors s’écrire “4TUNE“
(Ill. 76) et “Malade“,
MALA2“ (Ill.
87).
b) Couronne
La couronne est l’un des éléments qui a toujours été
associé au tag. Elle représente le désir d’être
reconnu, d’être le roi. “To be king“ est l’opposé
d’être un toy, c’est le but ultime du writer
(note 129) , la reconnaissance totale (note 130). Comme le “1“ ou
les éléments décrits par Fraenkel (note 131) (dont certains
sont des couronnes d’ailleurs), la couronne est donc un moyen pour le
tagueur de montrer le rang qu’il estime occuper. La couronne accompagne
les tout premiers tags, dans le début des années 1970 déjà
(note 132). Elle reste aujourd’hui très présente et on en
trouve de nombreux exemples à la Chaux-de-Fonds (Ill.
88 et 89).
Des éléments de formes diverses pouvant être lus comme des
dérivés de la forme originale de la couronne sont également
très utilisés. Un ovale surmonté de trois petits traits
(Ill. 90) présente
une composition, certes simplifiée à l’extrême, qui
n’est pourtant pas loin de la couronne dans laquelle s’inscrit le
tag MAR (Ill. 89).
L’ovale simple au-dessus du tag (Ill.
86 et 91),
de par sa position et sa forme rappelle également la couronne (note 133).
d) Traits
Les petits traits qui accompagnent le tag en le précédant, en
le suivant ou en l’encadrant, sont très courants. Si leur forme
varie peu dans la plupart des cas rencontrés, leurs fonctions sont multiples
et s’additionnent parfois dans le même tag.
Comme la flèche, ils participent tout d’abord à la dynamique
de la composition (Ill.
92). Leur utilisation rappelle alors celle qu’en fait un artiste comme
Keith Haring (Ill.
93) : ils représentent le mouvement et l’instabilité
dans lesquels est placé le sujet. La bande dessinée quant à
elle les utilise non seulement pour représenter le mouvement mais aussi
l’explosion sonore (note 134). Dans le tag, cette double fonction semble
être également utilisée, les traits rappelant ainsi que
les lettres représentent un son, un son brutal, un cri en quelque sorte.
Tout comme la flèche, les traits peuvent jouer un rôle déictique,
dirigeant le regard sur l’objet central, montrant où celui-ci commence
(Ill. 94). Notons
d’ailleurs que, lorsqu’ils remplissent cette fonction, ils pourront
opérer une rotation de 90o lorsque le tag se lit de haut en bas (Ill.
95).
Autre fonction : les traits, lorsqu’ils sont placés après
le tag, deviennent un moyen de terminer le geste, d’insister sur le mouvement
de la main qui a guidé le trait (Ill.
96). Dans ce cas, ils servent en quelque sorte de ponctuation, terminant
le mouvement de la “phrase“ que représente le tag. Ils peuvent
alors être comparés à la pausa de l’écriture
médiévale, signe qui indique la fin d’une phrase et qui
est composé de deux virgules placées au-dessus et au-dessous de
la ligne (note 135). Cette ponctuation s’appliquait d’ailleurs également
aux mots isolés et certaines signatures du Moyen Age utilisaient déjà
des signes de ponctuation pour clôturer leur composition (note 136). Comme
le paraphe, ces traits sont également une manière de bien indiquer
au lecteur que les lettres auxquelles il est confronté représentent
une signature.
Finalement, ces éléments peuvent fonctionner comme une sorte de
substitut de cadre. Ils sont alors placés devant et derrière le
lettrage (Ill. 85),
délimitant l’espace réservé au pseudonyme lui-même,
comme le feraient des guillemets. Ils indiquent ainsi le territoire réservé
par le tagueur, le protègent d’éventuelles attaques extérieures.
Les guillemets sont une façon de montrer que le mot désigné
est une forme graphique et non plus un signe (note 137) ; les traits devant
et derrière le tag insistent donc sur le fait que l’on n’a
plus affaire simplement à des lettres représentant un mot, mais
à une entité propre, lisible sans que ses lettres le soient forcément.
2.3 Entre signature et logo
Le tag est parfois présenté comme un moyen d’appropriation
d’un espace (note 138). Pourtant le support, comme nous l’avons
démontré, est choisi bien plus pour mettre en valeur une œuvre
que pour s’approprier un lieu précis. Le but d’un tag et
d’occuper un espace, de s’y montrer, mais pas de le posséder
et nous sommes bien loin, à la Chaux-de-Fonds en tout cas, des graffiti
de gangs qui délimitent des territoires (note 139). Le tag a en fait
deux fonctions bien distinctes mais pas forcément exclusives : se faire
connaître par l’intermédiaire d’un pseudonyme largement
diffusé et signer un graff.
En règle général, un graff est signé d’un
tag. Lorsque ce n’est pas le cas, d’autres traces seront laissées
aux initiés pour que l’auteur puisse être identifié
par le public visé, mais par les forces de l’ordre. Les œuvres
faites en milieux autorisés sont toujours signées, à quelques
exceptions près, alors que les graffs illégaux le sont moins souvent.
Cette signature va pourtant, dans la plupart des cas, s’éloigner
de son œuvre et se multiplier sur les murs, sans garder forcément
un lien direct avec un graff. Il est intéressant de noter que, à
peu près à l’époque où le graffiti hip-hop
naissait à New York, un artiste comme Bruce Nauman décidait également
d’utiliser les lettres de son nom comme sujet unique de certaines de ses
œuvres (note 140). Le tagueur procède de la même manière
et son pseudonyme, sous la même forme que lorsqu’il est utilisé
comme signature, peut alors devenir une œuvre en tant que telle. Comme
la signature, il reste autographe et marque la présence physique de l’artiste
à un moment donné (note 141). Afin d’attester de son originalité,
il doit prendre toujours la même forme et, même au risque d’avoir
de sérieux ennuis, certains tagueurs vont continuer à utiliser
le même pseudonyme après que celui-ci a déjà été
identifié par la police (note 142). Ainsi Soy, avec un tag illégal
daté de 2002 (Ill.
66), date à laquelle personne n’ignore son identité
réelle, semble ne pas résister à l’envie de voir
encore son nom diffusé sur tous les murs. En plus de représenter
son auteur, le tag inscrit également l’artiste dans un cercle plus
large. Tout comme le choix de prénoms comme “Pierre“ ou “Jean“
pouvait, il y a quelques siècles, faciliter une intégration religieuse,
régionale et familiale (note 143), le choix d’un pseudonyme de
trois à cinq lettres, le respect de quelques règles formelles
et sa reproduction sur un mur permettent au writer de montrer son appartenance
au mouvement hip-hop.
Comme la signature traditionnelle, le tag perd souvent sa lisibilité.
Pour être plus précis, ses lettres deviennent illisibles mais l’entité
graphique elle, reste toujours reconnaissable. Le ductus (note 144),
la façon d’écrire propre à chaque individu peut être
reconnue même si les lettres elles-mêmes sont indéchiffrables.
Le “ductus“, devient ainsi la véritable signature
(note 145). Sa reconnaissance est la plus immédiate, et il est parfois
le seul élément “lisible“. Prenons l’exemple
du tag proposé par l’illustration
97. Comment pourrions-nous déchiffrer ce tag ? Avons-nous affaire
à un “N“ ou à un “V“ comme première
lettre, à un “1“ ou à un “L“ comme deuxième
caractère, à un “3“ ou à un “S“en
dernière position ? Malgré l’illisibilité de ses
lettres, il est certain que, si ce tag était multiplié, on le
reconnaîtrait très rapidement, à cause de ces déformations
particulières. Autre exemple : qui pourrait prétendre reconnaître
un nom dans les deux tags présentés ici par l’illustration
75 ? Pourtant, une rapide analyse du “ductus“, l’observation
notamment de la façon dont les deux compositions se terminent, nous permet
de supposer qu’une seule et même main a créé ces deux
tags. La signature et le tag sont avant tout des signes, dont le rapport direct
avec un nom semble parfois disparaître (note 146). Les seings du Moyen
Age ou certaines compositions calligraphiques arabes (note 148) (Ill.
98) par exemple montrent une même tentation de quitter l’écriture
à proprement parler et de transformer les lettres en une forme graphique
: on passe alors, comme on le remarque dans de nombreux tags, du scriptural
au pictural (note 149). Dans le tag, le caractère pictural de la composition
sert d’élément de reconnaissance immédiate du modèle
et remplace ainsi le rôle scriptural de la lettre.
Le tag, comme le logo publicitaire, est donc un signe que l’on associe
immédiatement à un nom, sans pour autant que celui-ci soit forcément
lisible. Si l’on replace le tag dans son contexte initial, sur des voitures
de métro, on comprend encore mieux la nécessité de créer
un signe qui puisse être reconnu en quelques secondes (note 150). Les
publicistes jouent souvent avec le fait que leur logo soit reconnaissable plus
rapidement que le nom de la marque elle-même. Migros peut par exemple
se permettre, en gardant l’essentiel de son logo, de supprimer une lettre
de son nom sans que la reconnaissance de la marque ne soit menacée (Ill.
99). De la même manière, Cosh, lorsque le support est trop
étroit pour y inscrire les quatre lettres de son nom, peut sans problème
en supprimer une tout en restant clairement identifiable (Ill.
100). Tsar (Ill.
101), lui, joue avec les possibilités que lui offre son pseudonyme
en utilisant, à l’occasion, l’anagramme “Star“.
Là encore, c’est son ductus qui lui permet d’être
identifié par les initiés. Pour pouvoir se permettre ce type clin
d’œil, publicistes et tagueurs doivent s’assurer que leurs
logos sont suffisamment connus de leur public pour que la reconnaissance soit
immédiate (note 151). Le tagueur, qui a toujours pour but de se faire
connaître (note 152), utilise donc des techniques de diffusion proche
de celles de la publicité.
La reprise des techniques de la publicité dans
l’art contemporain est une pratique courante, mais la spécificité
du graffiti hip-hop est qu’il ne propose absolument aucune critique de
ces procédés, comme le ferait une Barbara Kruger (note 153) par
exemple, mais les utilise simplement pour diffuser ses propres formes (note
154). En recherchant systématiquement les endroits les plus en vue, il
arrive que le graffiti hip-hop entre d’ailleurs en concurrence directe
avec les affiches publicitaires, dans les endroits les plus intéressants.
Si, à la Chaux-de-Fonds, les afficheurs n’ont encore jamais porté
plainte contre les writers, c’est une menace potentielle qui
plane sur la tête des tagueurs (note 155). Le “matraquage“
recherché par les tagueurs est proche de celui que font subir les grandes
marques aux consommateurs. Les tags peuvent ainsi être répétés
des dizaines, des centaines, voire des milliers de fois. Parfois, l’on
peut déjà observer cette prolifération dans un espace restreint.
C’est alors par une multiplication excessive que le tag attire l’attention
(Ill. 102 et 103).
3.1 Le graff
Les graffs que l’on peut voir sur les murs de la Chaux-de-Fonds prennent
des formes très variées et sont sans doute plus différents
les uns des autres que ne le sont les tags entre eux. Pourtant, nous allons
voir qu’un certain nombre de caractéristiques communes peuvent
être soulignées. Il existe en effet un certain nombre de schèmes
et de principes que l’on retrouve de façon récurrente dans
les graffs chaux-de-fonniers et qui restent d’ailleurs proches de ceux
que l’on pouvait remarquer sur le métro new-yorkais. Pourtant,
l’évolution constante vers de nouvelles formes est une idée
primordiale pour les writers et nous verrons que le graffiti hip-hop
est loin d’être prisonnier de son histoire.
3.2 Approches formelles du graff
Un graff est, nous l’avons vu, plus grand qu’un tag et demande l’utilisation
de plus de couleurs pour sa création. Nous l’avons souligné
également, ses lettres sont composées de surfaces et non simplement
de traits. La structure même du graff est composée par ce qui est
en général appelé “outline“ (note
156). L’“outline“ n’est rien d’autre
que le dessin du tour des lettres. Sur cette base vont venir se greffer différents
éléments, plus ou moins nombreux selon les cas. Un graff peut
être constitué seulement d’une “outline“
(note 157) (Ill. 104)
ou présenter une composition extrêmement plus riche en éléments
variés (Ill.
05). L’intérieur de l’“outline“
sera ainsi dans la plupart des cas rempli de couleurs et de motifs divers, des
flèches ou d’autres éléments seront souvent ajoutés,
les lettres seront fréquemment mises en perspective et, finalement, un
fond et des personnages pourront compléter la composition. Contrairement
à ce que l’on a observé dans le tag, les éléments
extérieurs au lettrage pourront occuper une place primordiale, voire
même l’éclipser complètement dans quelques cas (Ill.
47 et 105).
Certains graffeurs pourront alors se spécialiser dans un domaine précis
et travailler avec des writers dont les compétences sont complémentaires.
Ainsi, dans une même œuvre (Ill.
55), Tenko réalise les personnages alors que d’autres s’attaquent
aux lettres. Les éléments strictement picturaux peuvent dominer
la composition, passer au second plan ou encore être totalement absents
: tous les cas de figure sont possibles et la véritable signature de
l’artiste n’est pas toujours faite de lettres (Ill.
105). Les lettres ont, dans le graff, un rôle décoratif au
moins aussi important que leur fonction scripturale et des éléments
picturaux se transforment parfois en lettres (Ill.
106) : les rôles sont alors mélangés et la distinction
entre le lisible et le visible (note 158) très difficile à faire.
Un graff dépasse rarement deux mètres de hauteur, ce qui montre
que ses formes ne s’adaptent pas seulement au support mais aussi aux capacités
physiques de l’artiste qui préfère en général
ne pas avoir à transporter échelles ou escabeau pour réaliser
son oeuvre. Dans la grande majorité des cas, les lettres du graff sont
lues de gauche à droite et la composition est donc à dominante
horizontale. Le graff prend en général la forme d’un rectangle
dont la hauteur mesure entre la moitié et le tiers de la longueur. Cette
caractéristique, si répandue que l’on tend à ne plus
la remarquer, ne va pourtant pas de soi : on pourrait très bien imaginer
des compositions s’inscrivant dans un carré, une colonne, un cercle,
une diagonale, une spirale... De telles compositions existent d’ailleurs,
mais elles restent largement minoritaires. Outre le fait que le rectangle horizontal
reprend en quelque sorte la disposition du mot sur la page, il s’explique
également en partie par le support originel du graffiti hip-hop. Pour
s’inscrire au mieux sur les voitures du métro, les graffs devaient
en effet utiliser le rectangle délimité par les portes et les
fenêtres (Ill.
107) ou alors la surface entière du wagon (Ill.
108), de forme similaire (note 159). Aujourd’hui, alors que le mur
offre souvent d’autres possibilités, ce modèle continue
à prédominer. Pourtant, il faut garder en tête que les proportions
d’un graff sont avant tout définies par la hauteur qu’arrive
à atteindre l’artiste à bout de bras et par l’espace
qu’occupent les lettres de son pseudonyme mises bout à bout. Reste
que si le pseudonyme ou le nom du “crew“, motifs les plus
courants dans les lettrages du graff, sont composés en général
de trois à cinq lettres et que la disposition horizontale est presque
toujours observée, c’est sans doute, consciemment ou non, pour
se rapprocher du schème le plus répandu. D’ailleurs, on
peut parler d’une véritable tradition, développée
au fil des générations de writers, dans laquelle s’inscrivent
toujours les graffs d’aujourd’hui. Il n’est donc pas toujours
vain de vouloir trouver des ressemblances entre les œuvres auxquelles nous
sommes confrontés et celles de la New York des années 1970 (note
160). De plus, même si la diffusion du graffiti hip-hop semble avoir été
assez lente entre le nouveau et l’ancien monde (note 161), certains schèmes
diffusés par des livres comme Subway Art ou des films comme
Wildstyle (Ill.
109) (note 163), ont sans aucun doute joué un rôle primordial
dans le développement des formes des graffs européens. Des émissions
de télévision (note 164) et des pochettes de disques (Ill.
110) par exemple ont ensuite pu prendre le relais et étendre le cercle
des personnes ayant connaissance de ces modèles et de leurs dérivés
qui sont rapidement innombrables. Aujourd’hui, se basant largement sur
des magazines et fanzines spécialisés (note 165) et des sites
internet (note 166), la diffusion des graffiti hip-hop est beaucoup plus large,
plus rapide et permet une diversification des formes présentées.
En raison de la diversité de ses formes, il est impossible de prétendre
étudier de façon exhaustive les différents schèmes
et modèles que nous offre le graff. Il serait également extrêmement
maladroit de vouloir aborder cette pluralité par une catégorisation
“stylistique“ (note 167). Pourtant, un certain nombre de points
communs et de préoccupations récurrentes peuvent être dégagés
de l’étude des oeuvres de la Chaux-de-Fonds. Nous allons donc ici
développer quelques concepts qui, s’ils ne s’appliquent pas
forcément à tous les exemples rencontrés, vont nous permettre
d’améliorer la lecture de la plupart des graffs.
a) Rythme
Comme pour le tag, le rythme est, dans le graff, un concept primordial. Il faut,
ici encore, garder à l’esprit les particularités du support
traditionnel : sur un train ou un métro, le graff en mouvement crée
une sorte de flash coloré. La majorité des œuvres auxquelles
nous avons affaire ici sont destinées à rester statiques mais,
souvent, leurs lettres semblent toutefois être animées d’un
rythme intérieur . Certains artistes admettent même chercher consciemment
à retrouver sur les murs l’explosion de couleurs que produit un
train graffé en mouvement (note 169).
L’aspect purement technique doit également être pris en compte
: pour éviter les coulures et pour que les traits du graff se rejoignent
de façon précise, ces derniers doivent être effectués
de façon rapide. Les lignes du graff sont alors empreintes de cette rapidité
dans le geste. Dans le tag, la surface reste modeste et seule la main peut entrer
en mouvement. Dans le graff par contre, le corps entier doit entrer en mouvement,
dans une sorte de danse, pour pouvoir couvrir rapidement tout l’espace
(note 170). On assiste donc alors à une véritable forme d’action
painting (note 171) ou de calligraphie (note 172).
Cette recherche de mouvement se traduit par des formes diverses. Les traits
eux-mêmes peuvent tout d’abord être constitués d’arcs
de cercle qui se répondent dans une sorte de ballet (Ill.
62, 63, 111)
et qui insufflent un rythme à l’ensemble de la composition. Des
lettres brisées permettent également d’éviter que
l’œuvre ait l’air trop statique (“T“ de l’Ill.
44). Le positionnement des lettres témoigne parfois également
d’une volonté de mouvement : l’illustration
112 nous montre ainsi un lettrage qui semble venir contre nous, ne respectant
plus la ligne droite sur laquelle semblent posées la majorité
des œuvres rencontrées. Le graff de l’illustration
113 serpente dans l’espace et les lettres “DTL“ de l’illustration
114 ne suivent pas un même axe, ce qui rend la composition instable.
Les différents moyens de mettre les lettres en relation (note 173) permettent
également de créer une œuvre qui a un rythme d’ensemble.
Ainsi, les lettres “DTL“ (Ill.
114) ne prennent pas seulement des directions différentes, elles
se superposent également, donnant à l’ensemble une certaine
unité. L’illustration
115 nous montre quant à elle un lettrage dont la cohésion
est assurée par la fusion de ses différents éléments.
Autre procédé : un élément précis (note 174)
peut relier toutes les lettres entre elles comme le fait la barre du “A“
de l’illustration
111. Finalement, des systèmes beaucoup plus complexes peuvent être
utilisés pour assurer l’homogénéité du graff
tout en lui conférant un aspect rythmé (note 175). Ainsi, Kdim
(Ill. 116) trace
des lettres qui s’imbriquent les unes dans les autres en se superposant,
se cachant et se reliant. Toutes ces techniques dénotent autant la recherche
d’une certaine rythmique que la volonté de créer une composition
qui soit un tout et non simplement une juxtaposition de lettres (note 176).
Comme dans le tag, les flèches viennent parfois en aide aux writers
pour appuyer le mouvement du lettrage. Le “S“ qui débute
le graff de l’illustration
118 et le “K“ qui le termine se muent en flèches à
leurs extrémités. Ces éléments montrent des directions
opposées et semblent animer la composition en la soumettant à
des forces contradictoires. En soulignant les multiples directions que peut
suivre le regard (voir aussi l’illustration
116), les flèches participent ainsi de façon éminente
au rythme de l’ensemble.
b) Excès et équilibre
Les déformations excessives de certains éléments de certaines
lettres participent également à imprimer un rythme à la
composition tout entière. A la manière des allongements que l’on
peut rencontrer dans la calligraphie arabe (Ill.
119) (note 177), la lettre du graff peut s’étirer de façon
excessive. Ainsi, la barre d’un “T“ exagérément
allongée (Ill.
120) peut devenir une immense flèche indiquant une direction à
l’ensemble de l’oeuvre.
Si certains éléments sont souvent déformés à
l’excès, l’on peut observer, dans la plupart des cas, que
l’équilibre de l’ensemble est une préoccupation capitale
(note 178). Ainsi, les déformations du bas des lettres “S“
et “E“, au début et à la fin de l’œuvre
présentée par l’illustration
120, se répondent et s’équilibrent. Ailleurs, un “D“
et un “W“ peuvent être déformés de la même
manière, mais dans des directions opposées (Ill.
121).
Il arrive que ce ne soient pas seulement des éléments distincts
qui soient agrandis de façon excessive, mais le lettrage de son ensemble
(Ill. 122). C’est
alors une façon de s’adapter aux conditions particulière
du support (note 179).
L’excès peut également prendre d’autres formes, comme
une décomposition extrême des lettres (Ill.
63). Par une décomposition finalement assez proche de ce que l’on
peut observer dans Les demoiselles du bord de Seine d’après
Courbet (Ill.
10) par exemple, on assiste non seulement à une prolifération
d’éléments mais également à une remise en
cause de la lisibilité. Dans ces deux œuvres, le sujet est décomposé
en petites surfaces bien délimitées qui s’entremêlent
en rendant la lecture de la composition difficile par endroits. Cette lisibilité
moindre est compensée dans ce graff par le fait que les lettres “SOY“
sont reprises de manière très claire en bas à gauche, comme
pour aider à la compréhension de l’ensemble. De plus, par
ses formes particulières, par sa maniera, l’artiste s’offre
une reconnaissance directe qui lui laisse la liberté de créer
des lettres pas toujours identifiables immédiatement en tant que telles
(note 180). Un certain équilibre entre les fonctions esthétique
et informative est ainsi garanti, malgré une part d’abstraction
importante. Le lettrage principal, c’est-à-dire le sujet central
de l’œuvre, devient en effet, comme dans de nombreux autres exemples,
une image dont le rôle scriptural est complètement absent.
La notion de “baroque“ peut également être utile à
la description de certaines formes du graffiti. En essayant de comprendre ce
que Vasari appelle “capriccio“ et “bizzarro“,
LeMollé écrit : “Ainsi l’art – et l’artifice
– remplacent-ils la nature ; la technique elle-même est considérée
comme un moment de l’art et se développe tout un scientisme qui
se continuera avec le Baroque“ (note 181). De la même manière
dans le graff, l’acte artistique lui-même et les formes qui en découlent
deviennent souvent le véritable sujet de l’œuvre. Le décoratif
remplace alors le narratif, la technique personnelle prend le rôle de
la signature et la lettre n’est plus, en quelque sorte, qu’une excuse
à la création. La prolifération des formes et les déformations
excessives ont d’ailleurs certainement quelque chose de baroque.
c) Explosion
Le graff doit, comme une affiche publicitaire, attirer au maximum l’attention
en un minimum de temps. La façon la plus simple d’y arriver est
sans doute de produire une composition de taille excessive, mais le support
ne le permet pas toujours. Dès lors, certains writers cherchent
à créer une véritable explosion graphique, au moyen d’éléments
formels qui peuvent s’intégrer dans des œuvres de toutes dimensions.
L’utilisation de la peinture en spray, avec ses traits de largeur variable
et ses couleurs vives, est d’ailleurs déjà un moyen d’accroître
la visibilité instantanée du graff (note 182).
En insérant la composition dans une perspective dont le point de fuite
est situé au-dessous des lettres (Ill.
123), on peut, par exemple, donner l’impression que le lettrage jaillit
hors du plan en direction de l’observateur. La même illustration
nous montre comment des effets de lumière, sous forme de petites étoiles,
peuvent participer à cet effet d’explosion. Ces éléments
sont appelés “highlights“ par les auteurs qui s’y
intéressent (note 183). Le choix des couleurs devient ainsi également
un moyen de participer au choc visuel qu’entend créer le graffeur,
les “highlights“ jouant sur le contraste entre leur teinte
claire et le lettrage coloré (note 184).
La bande dessinée utilise plusieurs types de phylactères (note
185) et différentes sortes de motifs (Ill.
124) pour traduire surprise, colère ou explosion. Le graff se sert
d’éléments similaires pour obtenir des chocs visuels identiques.
phylactères de bandes dessinées qui tentent de retranscrire surprise
ou colère, visent à créer un choc visuel similaire (Ill.
125).
d) Corner against curve
Dans Theorie des Style (note 186), un dessin inédit ayant pour
titre “Corner against curve“ (Ill.
126) présente deux mondes graphiques qui s’opposent. Si nous
avons ici repris son titre, c’est parce qu’il nous semble être
le condensé d’un concept primordial dans le graff : le jeu entre
courbes et droites. Deux schèmes récurrents sont décrit
dans tous les ouvrages cherchant à définir des catégories
“stylistiques“ (note 187). Le premier est le “bubble style“,
constitué uniquement de formes arrondies et le second le “blockbuster“,
aux immenses lettres faites uniquement de traits droits. Tous deux sont utilisés
dès les prémices du graff mais sont attachés à des
traditions fort différentes. Le “bubble style“ s’inscrit
en effet dans la continuité des formes anthropomorphiques utilisées
par l’art nouveau puis par l’esthétique pop des années
1960 - 1970 (note 188), alors que le “blockbuster“ trouve
ses origines plutôt dans la typographie moderne et plus particulièrement
dans ses lettres pixélisées (note 189). On trouve aujourd’hui
encore à La Chaux-de-Fonds des exemples qui pourraient illustrer ces
deux schèmes (Ill.
127 et 128
pour le “bubble style“ et Ill.
122 pour le “blockbuster“).
Mise à part dans ces deux catégories, quelque peu stéréotypées
- on trouve peu d’exemples qui puissent réellement y entrer - droites
et courbes se côtoient dans la plupart des graffs. L’équilibre
entre ces deux éléments semble d’ailleurs être une
préoccupation de tout premier ordre pour les writers. L’angle
aigu formé par l’intersection entre ces deux types de lignes est
même l’un des éléments formels les plus courants du
graff (Ill. 62
et 63). Cette réunion
permet de décomposer la lettre tout en créant un mouvement rythmé
par l’arrêt brutal des courbes qui se heurtent aux lignes droites.
Ces formes semblent parfois proches des arcs brisés de l’écriture
gothique (note 190) et, nous le verrons, cette ressemblance n’est pas
forcément fortuite (note 191). On peut également comparer les
formes du graff aux illustrations de manuscrits enluminés comme le “Book
of Kells“ (Ill.
129) (note 192), où la surfaces des lettres est délimitée
par des arcs et des droites qui se côtoient, le tout dans une profusion
d’éléments décoratifs.
e) L’alphabet en guerre
Si la rue et ses lois peuvent servir d’ersatz à la protection muséale,
c’est parfois le graff lui même, par des procédés
formels, qui tente de résister à d’éventuelles agressions.
Ainsi, le graff a souvent l’air d’un système complexe replié
sur lui-même et hostile au monde extérieur, tentant de maintenir
à distance les graffeurs qui voudraient s’emparer de son espace,
les nettoyeurs et les spectateurs non-désirés (note 193). Soy
crée par exemple des lettrages ressemblant à des machines au fonctionnements
complexes (Ill. 112).
Les lettres sont alors regroupées de façon très compacte,
protégées par divers éléments pointus qui sorte
de la composition en formant une véritable carapace. Dans un autre graff
(Ill. 130) le
même artiste va encore plus loin en défendant une composition du
même type par une sorte de dragon, se dressant tel un cerbère.
Les flèches qui peuvent, on l’a vu, remplir plusieurs fonctions
dans le graffiti hip-hop, servent parfois d’éléments de
défense. Ainsi, Kesh utilise parfois des formes à mi-chemin entre
des flèches et des pointes pour créer un enchevêtrement
impénétrable à l’aspect hostile (Ill.
131).
Des compositions beaucoup moins complexes veillent également à
bien marquer la surface qu’elles se réservent. Ainsi, les lettres
“DOK“ peuvent par exemple être entourées d’un
large trait qui fonctionne comme un cadre délimitant une frontière
entre l’espace commun et l’œuvre (Ill.
132). Cet élément fréquemment utilisé est parfois
appelé “outside highlight“ (note 194) et permet
également de mettre en avant le lettrage en donnant l’illusion
qu’il sort du plan sur lequel il s’inscrit.
Alors qu’un point de fuite placé en dehors du lettrage peut participer
à un véritable effet d’explosion, une perspective dont le
centre est situé derrière les lettres elles-mêmes va accentuer
l’impression d’un repli sur soi de la composition (Ill.
63). Une telle composition semble alors non pas exploser mais être
au contraire attirée par son propre centre.
Jacobson (note 195) parle de “camouflage“ ou “kamouflage“
en suédois pour décrire les lignes qui sont fréquemment
utilisées par les graffeurs pour rompre la monotonie des lettres. Le
graff de Kdim (Ill.
116) illustre parfaitement ce procédé : des traits séparent
de façon très nette les lettres “K“ et “A“
en plusieurs parties. Si le fait de rompre les lettres permet avant tout d’ouvrir
de nouvelles perspectives esthétiques, il sert aussi à rendre
la composition plus difficile à lire et surtout plus difficile à
copier (note 196). Les formes du graffiti peuvent donc également fonctionner
parfois comme une façon de remplacer le copyright qui protège
habituellement les images.
L’utilisation de ces différents procédés rendant
la lisibilité directe de plus en plus difficile, l’artiste doit
s’assurer d’être reconnu par sa maniera et par certains
éléments reconnaissables qu’il utilise (note 197). La compréhension
de l’œuvre semble alors compromise pour tout un chacun et réservée
à un public initié. En somme, dans un réflexe déf
ensif également, le graffeur crée une œuvre destinée
à une élite (note 198). Ce procédé ressemble d’ailleurs
à ce que l’on peut observer dans le hip-hop en général
: les rappeurs, par l’utilisation d’un langage argotique et du verlan,
ainsi que par un phrasé parfois extrêmement rapide, cherchent à
créer une musique difficile d’accès, pas facilement appréciée
de tous. Les paroles du groupe Lunatic “Si tu kiffes pas re-noi t’écoutes
pas et pi c’est tout“ (note 199), supposent non seulement qu’une
certaine connaissance de l’argot est indispensable pour comprendre la
phrase elle-même, mais surtout que leur musique n’est pas faite
pour tout le monde (note 200). De la même manière, un fanzine hip-hop
utilise sur sa couverture, de manière tout à fait agressive, le
slogan “interdit aux bâtards“ (Ill.
133) signifiant clairement que chacun n’est pas invité à
le lire.
Comme ceux de l’art exposé dans les musées, les codes formels
du hip-hop mènent donc à la formation d’une élite
à laquelle tags et graffs sont destinés en tout premier lieu.
3.3 Sampling
Les rares ouvrages qui s’intéressent à l’aspect esthétique
du graffiti se bornent en général à vouloir mettre en place
une série de catégories “stylistiques“ dans lesquelles
chaque graff est censé pouvoir entrer. Le Style Only Workgroup
(note 201) propose ainsi une liste de “styles“, du plus basique
au plus complexe : “Tag“, “Bubble Style“,
“Throw up Style“, “Simple Style“,
“Semi Wild Style“, “Wild Style“, “Complex
Style“, “Free Style/Own Style/3d Style“. Cette
catégorisation est, à quelques détails près, celle
que l’on retrouve dans la plupart des ouvrages cherchant à classifier
les graffs selon des critères formels (note 202). Il faut pourtant noter
qu’aucun ouvrage ne fixe pourtant de critères précis définissant
ces catégories et, surtout, qu’aucun ne base son exposé
sur des exemples concrets convaincants. Sans vouloir entrer dans les détails
descriptifs de ces différents “styles“, nous allons, grâce
à des images de graffs chaux-de-fonniers, montrer que ces catégories
ne résistent pas une seconde à une confrontation avec des exemples
concrets. Si, comme nous l’avons vu, certaines œuvres bien précises
peuvent éventuellement entrer dans des catégories comme “Bubble
Style“ ou “Blockbuster“ (note 203), la majorité
des graffs semblent être des compilations de plusieurs “styles“
ou ne pas répondre à l’une ou l’autre des définitions
proposées. D’après le Style Only Workgroup, un
“Semi Wild Style“ présente des lettres “unabhängig
voneinander gestaltet, aber mit vielen möglichen Attributen oder mit einigen
zaghaften Verbindungen zwischen den Lettern versehen“ (note 204) alors
que le groupe écrit, à propos du “Wild Style“
: “Oft bedient sich der Wildstyle der Verbindungen der Schreibschrift,
viele neue Verknüpfungsmöglichkeiten wurden aber neu definiert“
(note 205). Bienheureux celui qui peut, à l’aide de telles explications,
dire si les illustrations 125,
116 ou 63,
par exemple, sont des “Semi“ ou des “Wild Style“…
Peut-être sont-elles plutôt des “Complex Style“,
“eine Weiterführung des Wild Style“ (note 206) ou des “Freestyle“
qui ne sont de toute manière “kein bestimmer Stil“ (note
207) ?
Des catégories comme “Bubble Style“ ou “3d
Style“ sont certainement intéressantes car elles décrivent
véritablement des éléments formels. Pourtant, leur utilisation
implique qu’un graff doit entrer dans une et une seule d’entre elles.
Comment juge-t-on dès lors si telle œuvre (Ill.
123) possède une perspective assez poussée pour entrer dans
la catégorie “3d“ ou si elle doit être classée
comme “Simple Style“ ou “Semi Wild Style“
? La classification proposée habituellement semble donc difficilement
défendable et les divers “styles“ auxquels on se réfère
sans cesse devraient certainement être compris plutôt comme des
façons de décrire tel ou tel élément formel que
comme une façon de ranger chaque œuvre dans une boîte. Ainsi,
les writers ont peut-être inventé eux-mêmes le terme
de “Bubble Style“ ou de “3d Style“
pour décrire respectivement des formes extrêmement arrondies et
des compositions donnant l’illusion de s’inscrire dans la troisième
dimension ; ils ne pensaient certainement pas pour autant en faire des catégories
exhaustives s’excluant les unes les autres, ni des définitions
arrêtées de formes immuables.
En jetant un œil sur la première publication de graffiti hip-hop
de La Chaux-de-Fonds (note 208), on se rend compte que des schèmes tout
à fait différents les uns des autres se sont toujours côtoyés
(Ill. 01, 134,
135) et qu’il
est absolument inutile de vouloir utiliser des termes comme “Simple
Style“ et “Complex Style“ pour montrer une quelconque
progression vers des œuvres de plus en plus compliquées et “abouties“
(note 209). Par contre, il est indéniable que certaines formes et certains
procédés sont apparus plus tardivement que d’autres dans
un catalogue formel du graff en constante expansion. Comme nous le verrons (note
210), les writers ont en général à cœur d’être
vus et reconnus sous des formes multiples (voir l’exemple de Soy, Ill.
136 et celui de UNO, Ill.
113, 137,
138, 25)
et cette envie les pousse à développer constamment des formes
nouvelles (note 211).
Le concept qui permet le mieux de comprendre les différents développements
et formes du graff n’est certainement pas celui de “style“
mais plutôt celui de “sampling“. Signifiant “échantillonnage“
en français, le mot “sampling“ est en général
utilisé pour décrire la façon dont la musique rap est composée,
en reprenant des échantillons de musique soul, funk ou jazz par exemple.
Cette technique est très proche de celle qu’utilisent les graffeurs
: dans une sorte de collage, différents éléments venant
de monde visuels extrêmement variés sont assemblés pour
créer une composition originale. A la manière des “scratches“
qu’utilisent les DJ’s pour altérer les boucles de musique
originales jusqu’à les rendre souvent impossibles à reconnaître
(note 212), les graffeurs ne se contentent pas de copier puis de “coller“
des éléments, ils les adaptent pour qu’ils répondent
à leurs besoins. A force d’avoir été retravaillés
par des générations successives de writers, certains
de ces éléments sont d’ailleurs certainement entrés
dans le vocabulaire visuel courant du graff sans que l’on se souvienne
forcément de leur origine.
On le verra (note 213), un ou deux graffeurs qui entrent en contact direct avec
des manuscrits du Moyen Age et qui en incorporent certaines formes dans leurs
oeuvres peuvent jouer un rôle capital dans les formes du graffiti hip-hop
en général. Ces emprunts directs, rapidement diffusés,
au sein du monde relativement clos qu’est le graffiti, pourront alors
être repris par d’autres, sans que ceux-ci ne se doutent une seconde
de la source première de leur modèle. Le writer a en
réalité à sa disposition tout un répertoire de formes
déjà intégrées dans les formes traditionnelles du
graffiti, répertoire dans lequel il puise certainement sans se soucier
de la manière dont son œuvre sera catégorisée. De
plus, il ne s’arrête évidemment pas à ce catalogue,
mais il se sert comme bon lui semble, d’éléments visuels
de domaines divers qui lui paraissent intéressants.
Pour définir ce procédé que nous avons ici appelé
“sampling“, Ivor Miller utilise quant à lui le terme
de “creolizing“ (note 214). En effet, à la manière
du créole qui naît de l’emprunt et du mélange de mots
de plusieurs langues, le graff transforme des échantillons d’origines
variées pour créer un langage visuel nouveau (note 215). La comparaison
est tout à fait pertinente car, comme le sampling, la créolisation
n’est pas un simple acte de copie mais aussi d’appropriation, d’adaptation
et de synthèse.
Le hip-hop, comme le pop, détourne des éléments en marge
de l’art reconnu - du “high art“ comme le définit
l’exposition “High & Low“ - pour servir ses propres
buts (note 217). Le pop art s’empare d’éléments populaires
pour créer une forme d’art sophistiquée, transfigurant ainsi
le banal (note 218). Mais comme les artistes pop, le graffeur ne se tourne pas
uniquement vers des images populaires, mais aussi vers des formes ayant elles-mêmes
une prétention artistique, ne serait-ce que celles des autres writers.
Danto souligne que l’une des caractéristique des artistes d’aujourd’hui
est qu’ils peuvent se servir comme ils l’entendent chez leurs prédécesseurs
et que les “genres“ ne se remplacent plus les uns les autres mais
cohabitent (note 219). Belting écrit pour sa part que l’artiste
ne s’inscrit plus dans une continuité historique mais qu’il
utilise le passé en le décomposant et le réutilisant comme
bon lui semble (note 220). En utilisant largement le sampling, le graff
semble, dès lors, pouvoir être un exemple parfait du pluralisme
de l’art contemporain et le concept de “style“ semble tout
à fait inadéquat dans un tel contexte.
L’extrême diversité des sources samplées
fait la richesse du graffiti hip-hop mais est certainement un obstacle à
son étude. Même pour les graffs chaux-de-fonniers, nous allons
donc devoir nous borner ici à présenter seulement quelques univers
visuels couramment samplés.
a) Bande dessinée et dessins animés
Les comics et les cartoons américains sont, depuis les premiers graffs,
une source privilégiée pour les writers (note 221). La
bande dessinée a pour particularité de lier le pictural et le
scriptural, synthèse que tente d’opérer le graffiti hip-hop
également. Les personnages des comics, comme ceux des cartoons, ont été
largement réutilisés, sous des formes altérées,
dans des dizaines de graffs. Certains, comme le Cheech Wizard (note
222) sont devenus si courants que l’on peut se demander si l’imitation
d’un graff à l’autre n’a pas fait oublier à
certains son créateur original. Le graff s’inspire également
plus largement des codes visuels de la bande dessinée (note 223), comme
les phylactères par exemple, qui permettent de bien marquer la limite
entre le texte et l’image (Ill.
139). La taille excessive de certaines lettres ainsi que les couleurs vives
qu’utilisent les graffeurs ne font qu’accentuer la ressemblance
entre ces deux mondes. Pourtant, si la bande dessinée utilise la relation
image-texte pour faire comprendre un scénario rapidement (note 224),
le texte lisible n’a en général, dans un graff, qu’un
rôle mineur, la fonction informative étant la plupart du temps
réduite aux dédicaces, éventuellement à un message.
A la Chaux-de-Fonds, on trouve des exemples évidents d’emprunts
à la bande dessinée et aux dessins animés. Tenko utilise,
dans une grande œuvre collective, des personnages aux traits caricaturaux
(Ill. 140), dont
les déformations et les couleurs ne sont pas sans rappeler ceux des personnages
du dessinateur de bande dessinée Carlos Nine (Ill.
141). La ressemblance peut sembler troublante, mais il ne faut pas vouloir
conclure trop vite à un emprunt direct. En effet, un graffeur se nommant
“No 6“, dont les œuvres sont largement diffusées par
le magazine Radikal, utilise également des personnages de ce
type (Ill. 142)
et répond à la question “Quelles sont tes influences en
général ?“ (note 225) par “Tout ce qui m’entoure,
ce que j’ai lu, ce que j’ai vu, aussi bien en peinture qu’en
BD, en photo, ou dans n’importe quel autre domaine. Récemment ROBERT
WILLIAMS, CARLOS NINE, PRADO…“ (note 226). Difficile dès
lors de savoir si Tenko connaît les albums de Carlos Nine ou s’il
a simplement été marqué par des personnages présentés
dans Radikal par exemple. Cet exemple illustre très bien le
fait que le sampling ne s’explique pas par de simples relations bilatérales
mais par une véritable nébuleuse d’emprunts, de transformations
et de synthèses.
Le personnage grinçant de UNO (Ill.
143) peut rappeler les créatures du dessin animé-jeu-vidéo
Pokémon (Ill.
144) (note 227). Certes les différences sont nombreuses, mais par
leur forme générale, leur compacité, l’extrême
simplicité de leurs traits et leurs couleurs, ces deux compositions donnent
une impression d’être proches l’une de l’autre. Il est
bien sûr impossible de déterminer si UNO a voulu faire référence
de façon directe aux Pokémons mais, dans tous les cas,
la créature du graffeur se pose comme une sorte de caricature de ce type
de personnage populaire. Alors que les personnages des dessins animés
pour enfants sont habituellement plutôt conviviaux, la créature
signée UNO est quelque peu cynique. Une imagerie enfantine est ainsi
détournée ou transfigurée au moyen du sampling.
De façon tout à fait similaire, le même artiste crée
une sorte de chien (Ill.
145) dont la forme générale est très proche de celle
de Snoopy (Ill.
146), mais qui a lui aussi un air très différent, moqueur,
presque agressif. Ces deux exemples illustrent à merveille le fait que
le sampling détourne fréquemment une imagerie populaire,
destinée à un public de masse, pour en faire une critique, une
caricature en tout cas, destinée à une élite.
b) Fantastique et science fiction
Comme les comics et les cartoons, l’illustration fantastique et la science-fiction
sont une autre source traditionnelle de sampling (note 228). On trouve
ainsi sur les murs de la Chaux-de-Fonds quelques personnages (Ill.
147) à mi-chemin entre le lutin et l’extra-terrestre. Le chapeau,
les oreilles et la taille du personnage renvoient ici à l’image
habituelle d’un habitant d’une forêt fantastique (Ill.
148) alors que les yeux, la bouche et le cou seraient plutôt ceux
de l’E.T. de Spielberg (Ill.
149).
Autre exemple de déformations et d’emprunts successifs : Soy semble
parfois prendre comme modèle (Ill.
150) l’un des personnage du film de science-fiction Star Wars
(Ill.151), lui-même
déjà inspiré des représentations traditionnelles
de créatures fantastiques. En tout cas, à part les lèvres
et les yeux rendus plus “humains“ par le graffeur, la ressemblance
entre le Yoda (note 229) de la Guerre des étoiles et
le personnage de l’artiste chaux-de-fonnier est frappante.
c) Imagerie hip-hop
Si les samples peuvent donc se faire dans des domaines à première
vue assez éloignés de l’univers urbain des writers,
ils peuvent également se nourrir d’une imagerie beaucoup plus proche
de leur quotidien, celle du hip-hop. Dans plusieurs œuvres chaux-de-fonnières,
on trouve des représentations, souvent très réalistes,
de personnages dont les attributs et les habitus sont ceux que la mode hip-hop
diffuse par les journaux, la télévision ou les pochettes de disques.
Ainsi, Soy, dans deux compositions différentes, met en scène des
protagonistes qui semblent tout droit sortis de vidéo-clips. La première
de ces œuvres (Ill.
152) se base sur des codes vestimentaires du hip-hop des années 1980,
l’inscription “OLD TIMES“ en bas à gauche rappelant
d’ailleurs ce retour dans le temps : survêtements “Adidas“
à capuchon, casquettes et gros lecteur de cassettes appelé plus
couramment “Ghetto Blaster“ se côtoient ici comme
dans les milieux hip-hop il y a quelques années. Les photographies des
groupes phares de la fin des années 1980 comme Run DMC (Ill.
153) ou NWA (Ill.
154) nous montrent ainsi également des habits aux trois lignes proéminentes
et des casquettes. Légèrement penché en avant, le personnage
sprayé au dernier plan (Ill.
152) rappelle, par sa posture, le rappeur de groupe Run DMC se trouvant
à droite de l’image (Ill.
153). La deuxième composition de Soy (Ill.
155) nous montre une scène certainement plus moderne. Les attributs-clés
sont cette fois chemises ouvertes, lunettes de soleil et bandanas. Ici encore,
ces éléments peuvent se retrouver facilement dans des photos de
presse de groupes de rap (Ill.
154 et Ill. 156).
En plus des codes vestimentaires, Soy joue sur les habitus diffusés par
le même type d’images du monde du hip-hop. On note ainsi que ses
personnages font des signes avec leurs mains qu’ils avancent en direction
du spectateur comme pour l’interpeller. On retrouve ce même type
d’attitude sur une photographie des membres du label Kerozen
(Ill. 157) par
exemple. Notons encore les têtes légèrement penchées
et les expressions agressives que l’on trouve dans les compositions de
Soy comme sur les photographies des groupe NWA (Ill.
154) ou D-12 (Ill.
156).
En utilisant des codes visuels courants dans le monde du hip-hop, l’artiste
marque la volonté d’inscrire son œuvre dans une tradition
et de cibler son public. En se représentant lui-même dans une composition
respectant les codes vestimentaires et les habitus propre au mouvement hip-hop,
il franchit un pas de plus vers son autolégitimation. Ainsi, dans une
composition de Soy (Ill.
152), un membre du trio portant une casquette marquée “SOY“
n’est autre que l’artiste lui-même. Rydok et Dzeta se mettent
également en scène dans une même composition, sous des traits
légèrement caricaturaux (Ill.
158) et non pas de façon réaliste comme le fait Soy.
Comme la maniera, l’autoportrait est un moyen efficace de signer
une œuvre sans qu’apparaisse forcément le nom de l’artiste
(note 230). Même si les tags, respectivement de Soy et de Rydok et Zeta
servent ici de signatures aux œuvres, ils sont des éléments
secondaires. Le public averti, celui vers qui ce clin d’œil se dirige,
saura pourtant reconnaître immédiatement les auteurs grâce
à leur autoportrait. Une fois encore, ce procédé répond
à une volonté élitiste de ne s’adresser directement
qu’à une certaine catégorie de spectateurs.
Certaines œuvres font référence non pas à l’imagerie
du hip-hop à proprement parler, mais à ses textes. Ainsi Archer
(Ill. 159) et
Soy (Ill. 160),
comme pour décrire l’ensemble de leurs compositions (Ill.
161 et Ill. 05),
citent des textes écrits par des rappeurs reconnus. Archer, dans une
œuvre singulière, cite la Scred Connexion en inscrivant
sous son œuvre “Jamais dans la tendance, mais toujours dans la bonne
direction“ (note 231). Soy, quant à lui, pour compléter
une fresque fort hétéroclite, cite le titre d’un album d’Assassin
“Le futur que nous réserve-t-il ?“ (note 232).
Que ce soit par l’image ou le texte, les writers semblent donc être
friands de références au mouvement hip-hop, comme pour rappeler
qu’ils s’inscrivent dans une dynamique large qui ne s’arrête
pas au graffiti.
d) Images numériques
Le sample, qui puise dans toutes sortes de sources, se tourne également
tout naturellement vers les images les plus récentes qui soient. Les
lettres pixélisées amenées par les traitements
de texte informatiques ont ainsi, semble-t-il, très vite été
utilisées par les artistes du métro new-yorkais, dans le développement
de formes très carrées notamment (Ill.
108). On a même pu parler de “computer style“
(note 233). Aujourd’hui, à La Chaux-de-Fonds, un artiste comme
UNO joue toujours avec les particularités des créations informatiques
en recréant, au feutre, une image faite de pixels (Ill.
162). Il fait ainsi un parallèle entre son personnage et les jeux
vidéos vétustes où quelques carrés suffisaient à
représenter un héros (Ill.
144).
L’apport principal du monde informatique dans le graff vient pourtant
sans aucun doute des images créées par des logiciels de création
“3d“. Comme nous le verrons, de nombreux graffs s’inscrivent
aujourd’hui non plus sur un plan, mais cherchent véritablement
à donner l’illusion d’entrer dans une troisième dimension.
Les médias nous offrent de plus en plus d’images de ce type (Ill.
163) et, de l’original au sample, il n’y a qu’un
pas que bien des graffeurs n’ont pas hésité à franchir.
e) Ecritures
La lettre est sans conteste le matériau de base du graffiti. Dès
lors, on ne sera pas étonné de voir que différents types
d’écritures soient samplés par les graffeurs. Ici,
il est naturellement impossible de répertorier tous les modèles
qui ont pu jouer un rôle dans le développement des diverses formes
du graffiti hip-hop. Comme nous l’avons déjà évoqué,
plusieurs procédés de la calligraphie arabe peuvent s’appliquer
sans problème au tag, parfois au graff. Nous avons également fait
référence plus haut aux formes anthropomorphiques de l’art
nouveau ou de l’esthétique pop des sixties et des seventies, aux
lettres de la bande dessinée ou encore à celles issues de l’informatique.
Une autre catégorie de sources pour les lettres du graff, peut être
plus surprenante, est celle de l’écriture médiévale.
Il est bien entendu quasiment impossible, dans les graff de La Chaux-de-Fonds,
de déceler des emprunts directs à des formes du Moyen Age. Par
contre, le sample a pu se faire de façon indirecte, en prenant
comme modèle des formes déjà largement répandues
dans le monde du graffiti hip-hop, elles-mêmes issues parfois d’une
observation directe de l’écriture médiévale. En effet,
il semble que, dans les premières heures du graffiti hip-hop, certains
writers comme Rammellzee, à la recherche de nouveautés
à insérer dans leurs oeuvres, aient étudié directement,
à la Bryant Park Library de New York, l’écriture
manuscrite du Moyen Age (note 234).
Une profusion de détails, un jeu entre droites et arcs brisés,
des lettres délimitées par des surfaces plutôt que des lignes
et traitées comme des images (note 235) : voilà autant d’éléments
que l’on peut observer dans la plupart des graff de La Chaux-de-Fonds
comme dans le Book of Kells (Ill.
129) par exemple. Il serait évidemment insensé de vouloir
tracer une relation directe de l’un vers l’autre, mais les possibilités
de rapprochement sont nombreuses et les observations de Rammellzee ou d’autres
(note 236) ne sont peut être pas totalement étrangères à
ce fait.
Certains artistes rappellent d’ailleurs cette filiation lointaine avec
les écritures d’un autre temps, en représentant des parchemins
sur lesquels viennent s’inscrire un texte sprayé (Ill.
164 et 47).
Techniques médiévales et contemporaines se retrouvent ainsi en
quelque sorte synthétisées par le writer.
A La Chaux-de-Fonds, UNO est certainement le groupe d’artistes qui incarnent
le mieux la volonté d’emprunter des éléments dans
tous les domaines imaginables. Certaines de leurs créations, qui vont
jusqu’à sampler des images d’émissions de
télévision (Ill.
165) (note 237) ou de l’imagerie punk (Ill.
138) (note 238) en témoignent, même si elles s’éloignent
fortement du graffiti hip-hop tel que nous l’avons défini. Par
nature, le sampling peut être appliqué à n’importe
quelle source et nous n’avons évoqué ici que celles qui
nous paraissaient les plus représentatives de la scène chaux-de-fonnière.
Ainsi, alors que Miller (note 239) par exemple base l’essentiel de son
exposé sur les rapports entre arts extra-européens et graffiti
hip-hop, nous ne jugeons pas essentiel d’aborder cet aspect ici. Quelques-uns
des concepts qu’il développe - les relations entre l’énergie
du graffiti et la rythmique africaine par exemple - sont sans doute applicables
dans le cadre chaux-de-fonnier mais l’essentiel de sa thèses ne
s’y applique pas, les writers locaux n’ayant pas des origines
aussi diversifiées que celles des premiers graffeurs new-yorkais. Nous
n’avons pas non plus abordé directement le sample qui
est pourtant certainement le plus courant : celui qui s’attaque à
des formes déjà graffées. Les sources présentant
des graffs avec lesquels le writer peut entrer en contact et les schèmes
existants sont en effet si nombreux qu’une telle entreprise semble totalement
utopique ; gardons simplement en tête que le sampling s’utilise
autant avec des sources “primaires“ que “secondaires“.
Notons pour finir que le sampling est peut-être le concept qui
définit le mieux la différence entre graffiti et graffiti hip-hop
: alors que le graffiti est une écriture, ou un dessin quasi automatique,
le graffiti hip-hop incorpore dans sa composition une foule d’éléments
samplés sciemment. Le graffiti hip-hop devient ainsi un exemple
du pluralisme artistique moderne, aux côtés des collages cubistes,
des détournements pops et autres emprunts à l’imagerie populaire,
comme ceux de Jeff Koons (note 240) par exemple.
3.4 La guerre du style
La diversité du graff vient autant du fait que le writer a besoin
de plusieurs types de formes pour répondre à des conditions de
création différentes les unes des autres (note 241) que d’une
volonté d’attirer le regard en créant des œuvres novatrices,
en se montrant sous des schèmes aussi divers que possibles. Soy témoigne
de cette volonté en réunissant sur un seul mur diverses variations
autour de son pseudonyme, comme pour montrer qu’on peut le reconnaître
même dans sa polyvalence (Ill.
136).
La recherche constante de nouveauté est un moteur essentiel au développement
du graffiti hip-hop, chaque artiste cherchant sans cesse des innovations qui
épateront les connaisseurs (note 242). Le terme largement utilisé
de “style war“ (note 243) ne se réfère pas
au concept de “style“ au sens académique du terme mais désigne
simplement cette recherche constante de nouveauté : ce n’est pas
une guerre entre plusieurs “styles“ dominants mais une bataille
pour savoir qui aura le plus de “style“, qui sera le plus percutant,
le plus innovateur, le plus remarqué (note 244). La style war
est même l’un des garants de la pluralité du graffiti hip-hop
car c’est la recherche d’inédit qui pousse les writers
à se tourner vers toutes sortes de sources à sampler (note 245).
Paradoxalement, le writer est en quelque sorte pris entre deux forces
opposées : l’une le pousse à puiser dans un répertoire
de formes déjà existantes pour légitimer son appartenance
au mouvement hip-hop, tandis que l’autre l’oblige sans cesse à
apporter de nouveaux éléments à ce répertoire s’il
entend gagner la reconnaissance de ses pairs. La style war mène
alors à une synthèse permanente entre formes appartenant déjà
au vocabulaire habituel des writers et apports extérieurs nouveaux.
De plus, pour pouvoir être reconnu au travers d’œuvres très
différentes les unes de autres, le graffeur va devoir soit utiliser une
signature inaltérable, le tag, soit signer par sa maniera qui
lui garantit d’être identifié rapidement par son public,
mais avec peine par les forces de l’ordre (note 246).
Nous avons déjà eu largement l’occasion de remettre en cause
la théorie d’une évolution linéaire entre tag et
graff, l’idée d’un progrès vers des formes de plus
en plus complexes (note 247). Pourtant, il est indéniable que certains
développements du graffiti soient arrivés après d’autres
et que toute forme n’est pas possible en tout temps. L’apparition
assez tardive (note 248) des murs légaux a, par exemple, favorisé
l’explosion des grandes fresques où les lettrages sont accompagnés
de personnages et de décors. La prolifération des mondes virtuels
qu’offre l’informatique moderne permet également aujourd’hui
des samples inimaginables il y a quelques années. Sans cette
force créative et novatrice que désigne le terme “style
war“, les formes du graffiti seraient figées dans des schèmes
développés il y a 20 ou 30 ans à New York, schèmes
qui n’ont d’ailleurs pas disparus mais qui côtoient des modèles
plus récents ou se mélangent à eux.
En comparant un graff chaux-de-fonnier de 2002 (Ill.
166) et une œuvre new-yorkaise de 1981, (Ill.
107) on se rend compte que le graffiti hip-hop demeure parfois fortement
ancré dans ses traditions, en restant fidèle à un certain
nombre de principes qui semblent inaltérables (note 249) : prédominance
de l’outline, illusion de relief, “outside highlight“,
utilisation de flèches, jeu entre arcs de cercles et droites qui insuffle
un rythme à la composition ou encore rapports similaires entre hauteur
et longueur du graff. Pourtant, ces règles de composition sont en grande
partie liées, on l’a vu (note 250), au support originel et, aujourd’hui
à la Chaux-de-Fonds, le support n’est plus une voiture de métro
peinte dans la nuit mais, bien souvent, un mur où le graff est réalisé
en toute légalité. Dès lors, tout en restant liés
au mouvement hip-hop ne serait-ce que par le fait de choisir un pseudonyme,
d’en travailler les formes et de l’apposer sur les murs dans un
but esthétique, certains n’ont pas peur de s’éloigner
des règles habituelles, pour mieux répondre à des conditions
nouvelles (note 251). Ainsi, certains concepts qui pouvaient sembler immuables
se trouvent à présent contestés par des formes nouvelles.
a) De la surface au volume
Donner un effet de profondeur à la composition, comme nous avons déjà
pu l’observer dans de nombreux exemples (Ill.
62, 63, 123,
120 ou 167),
est un procédé tout à fait habituel. Pour mettre en valeur
son lettrage, pour le rendre plus visible mais aussi pour l’insérer
dans un ensemble plus complexe, le writer le place ainsi dans une perspective
plus ou moins prononcée. Pourtant, dans tous ces exemples, les lettres
elles-mêmes, délimitées par l’outline, restent
toujours sur un plan unique. Un développement relativement récent
révolutionne la façon dont le graff joue avec la troisième
dimension en transformant le lettrage en un véritable bloc sculptural.
Ainsi, Rydok (Ill.
168) et Archer (Ill.
161) créent des compositions dont les lettres ne sont plus traitées
comme des surfaces mais comme des volumes. Le graff semble ici flotter dans
l’espace et se libérer de la dictature du plan, l’outline
disparaît au profit d’un jeu d’ombres et de lumières
qui délimite les différentes facettes des lettres . Ces innovations
se font bien souvent au détriment de la lisibilité et Archer va
jusqu’à devoir rappeler, par des petites lettres désignant
chaque élément de son lettrage, le rôle scriptural de sa
composition.
Dès le milieu des années 1990, Daim (note 252), un artiste allemand,
a été l’un des pionniers de cette évolution. A la
même période, en 1996, le monde du multimédia était
secoué par l’apparition d’un nouveau type de jeux vidéos
(note 253) : les jeux dits “de plateformes“ tentaient depuis longtemps
de produire un effet de profondeur - en appliquant par exemple une perspective
atmosphérique au décor (Ill.
169) - mais, l’arrivé de jeux comme “Mario 64“
(Ill. 170) permet de réellement
déplacer son personnage non plus seulement de gauche à droite
sur un plan mais dans un monde en trois dimensions.
L’imagerie multimédia en général, qu’il s’agisse
des images “3d“ (Ill.
163) ou des mondes virtuels des jeux vidéos, est certainement une
source nouvelle de sampling. UNO rappelle d’ailleurs ce lien en reproduisant
le célèbre Mario (Ill.
171).
Encore une fois, on constate qu’un schème n’en remplace pas
un autre mais que des formes anciennes en côtoient de nouvelles et qu’elles
se mélangent parfois au sein d’une même composition. Certains
writers instaurent ainsi, comme pour accentuer l’effet optique
de ces lettres qui flottent dans l’espace, un dialogue entre lettres complètement
“plates“ et lettres “sculpturales“. Ainsi, le “I“
de “DEI“ (Ill.
172), simple aplat de couleur contraste fortement avec un “D“
et un “E“ tout en relief.
b) Du linéaire au pictural
Alors que certains writers traitent la lettre comme un volume pour
remettre en cause la prédominance de la ligne, d’autres remplacent
l’outline tout en continuant d’inscrire le graff sur un
seul plan. Ainsi un graff de Remor (Ill.
173) et un tag de UNO (Ill.
174) par exemple, témoignent de l’utilisation de procédés
proches de ceux des peintres impressionnistes. La ligne unique s’efface
ici devant une profusion de traits qui délimitent les lettres. On passe
alors d’une composition à dominante linéaire à une
œuvre plus “picturale“ (note 254). La frontière entre
lettres et arrière-plan n’est ainsi plus aussi marquée et
la lisibilité en pâtit (note 255). Ici, le rythme n’est plus
marqué uniquement par la force des lettres mais également par
la texture elle-même.
c) L’“outline“ en question
Le rôle de l’outline peut finalement être remis en
question sans que la ligne elle-même ne perde de son importance. Ainsi,
dans certains graffs (Ill.
175 et Ill. 176),
le trait ne délimite plus de façon stricte la surface des lettres.
Dans un graff de UNO (Ill.
175), on peut par exemple lire un “I“ et un “M“
à l’intérieur même d’autres lettres. L’œuvre
d’Ikea (Ill.
176) montre quant à elle comment les lignes peuvent se mélanger,
définissant des lettres différentes dans un espace commun : le
trait de couleur rose, l’“outside highlight“, délimite
la surface du lettrage dans son ensemble mais, à l’intérieur
de cette limite, les lettres se superposent et se confondent. On peut observer
dans de nombreux graffs des lettres qui passent les unes derrière les
autres (note 256). Mais, ici, les lettres ne sont plus des surfaces de couleur
se masquant lorsque l’une passe par dessus l’autre, mais de simples
lignes qui se mélangent lorsqu’elles se superposent.
96 Jacobson (JACOBSON DICTIONARY sous “TTP“, et
JACOBSON 1996, pp. 77-89) utilise même le terme “TTP“ (Tag,
Throw up, Piece) pour définir ce que nous avons appelé ici “graffiti
hip-hop“, marquant ainsi l’importance de ces trois types de formes
au sein d’un mouvement plus large. Voir aussi WOODWARD 1999, TIGHT 1996,
p. 8, et JACOBSON DICTIONARY sous “Tag“, et “Piece“
pour des critères de catégorisation.
97 LANI-BAYLE 1993, p. 110.
98 Voir SCHLUTTENHAFNER 1994, p.16 et JACOBSON DICTIONARY sous “Throw-up“.
99 Le Style Only Workgroup (STYLE ONLY WORKGROUP 1996, pp. 30-36) propose
une hiérarchie extrêmement confuse, mélangeant les types
à des critères “stylistiques“, allant du tag au “3d
style“. Lani-Bayle (LANI-BAYLE 1993) va jusqu'à appeler son ouvrage
“Du tag au graff’art“, Riout (RIOUT 1985, p. 72) nous parle
d’une évolution entre le tag et le “top-to-bottom“,
grande forme sur les voitures du métro et Bazin (BAZIN 1995, p. 176)
prétend que les writers doivent apprendre à maîtriser le
tag avant de passer au graff. Par contre, Bazin se contredit quelque peu (BAZIN
1995, pp. 185-186 et 195) en affirmant que le tag n’est pas une forme
inférieure du graffiti et qu’il n’y a pas forcément
d’évolution du tag au graff.
100 BAZIN 1995, p. 186.
101 Bojorquez (BOJORQUEZ) note la ressemblance des formes du graffiti hip-hop
avec celles des médias de masse.
102 BAZIN 1995, p. 187.
103 Terme utilisé par Stiennon (STIENNON 1995, p. 79.) pour décrire
une écriture dont les levers de plumes sont rares.
104 Le Style Only Workgroup (STYLE ONLY WORKGROUP 1996, p. 48) qui
décrit les unes après les autres les lettres de l’alphabet
et les déformations qu’elles subissent le plus souvent dans le
graffiti hip-hop, traitent de toutes les lettres majuscules et ajoutent les
lettres “a“, “e“ et “t“, en minuscules,
expliquant qu’elles remplacent souvent leurs équivalents majuscules.
105 Hassan et Isabelle Massoudy (MASSOUDY 2002) parlent de “dynamique
interne“ dans la calligraphie arabe.
106 STIENNON 1995, p.79.
107 SCHIMMEL 1990, pp. 14-16.
108 Certains tagueurs ont cherché de nouvelles formes directement dans
des modèles arabes. Voir BISCHOFF 2000, p. 157.
109 Voir chapitre 3, point 4.4.
110 Le témoignage d’un tagueur dans Let’s move let’s
tag !, (GOLDSTEIN ET PERROTTA 1991, p. 80) montre qu’il faut avant
tout trouver un pseudonyme dont les lettres permettent de créer “un
super style“.
111 Cette constatation faite à la Chaux-de-Fonds semble pouvoir être
généralisée, d’après le Style Only Workgroup
en tout cas (STYLE ONLY WORKGROUP 1996, pp. 42-48).
112 MASSOUDY 2002, p. 27.
113 Voir COOPER ET CHALFANT 1984, pp. 32-34 et BAZIN 1995, p. 170 pour l’enjeu
technique de la vitesse. Jouet (JOUET 2001, p.110) compare le graff à
la fresque car tout deux doivent être réalisés rapidement
sur un mur.
114 GRAINVILLE ET XURIGUERA 1993, p. 82.
115 GRAINVILLE ET XURIGUERA 1993, p. 5.
116 GRAINVILLE ET XURIGUERA 1993, pp. 38-51.
117 FROLET 1982, p. 32.
118 Voir les illustrations dans COOPER ET CHALFANT 1984, pp. 14, 15, 68 et TIGHT
1996, p. 27.
119 FRAENKEL 1992, p. 131.
120 FRAENKEL 1992, pp. 147-149.
121 Voir : chapitre 3, point 4.4.
122 Voir ANNEXE 3, questions 33 et 34. Le caporal Paillard note que les tagueurs
réputés, même lorsqu’ils utilisent des tags de crews,
utilisent des éléments qui permettent aux spécialistes
de reconnaître l’auteur de l’œuvre.
123 Les lettres majuscules UNO sont également un tag de crew et non pas
celui d’un seul individu (voir AERO 2003 sous “UNO crew“).
Ses différents membres signant cependant en général uniquement
par le nom du crew, nous utilisons ici et dans le catalogue l’appellation
“UNO“ comme si nous parlions d’un artiste unique.
124 Voir note 55.
125 Voir la reproduction de l’un des premiers articles sur le graffiti
hip-hop, dans le New York Time du 21 juillet 1971, COOPER ET CHALFANT 1984,
p. 14.
126 VINCENS-VILLEPREUX 1994, p. X.
127 Vulbeau, (VULBEAU 1992, p. 26) évoque la possibilité, en réalité
très théorique, à la Chaux-de-Fonds en tout cas, qu’un
tagueur ajoute un “2“ à son pseudonyme, pour signifier qu’il
est le deuxième à l’utiliser.
128 Pour des exemples de rebus dans les signatures au Moyen Age, voir FRAENKEL
1992, pp. 134-146.
129 COOPER ET CHALFANT 1984, pp. 28.
130 JACOBSON DICTIONARY sous “King“.
131 Voir note 118.
132 Voir l’illustration dans COOPER ET CHALFANT 1984, p.14.
133 Nous n’en avons hélas pas trouvé d’exemple à
La Chaux-de-Fonds, mais l’élément de base de la couronne
prend souvent une forme plus aplatie, plus ovale que ce que l’on peut
observer dans l’illustration
89. Pour une illustration de ce type de couronne, voir note 129.
134 Fischer (FISCHER 1986) parle d’un effet spatio-dynamique sonore.
135 Stiennon (STIENNON 1995, p.83-84) décrit la pausa et insiste sur
l’importance des signes de ponctuation pour le mouvement de la phrase.
136 Voir l’exemple de la signature du pape Léon IX chez FRAENKEL
1992, pp. 151-152.
137 FRAENKEL 1992, p.154.
138 Voir STAHL 1990, pp.30-32.
139 Bazin note lui aussi que “Le tag ne s’apparente en aucune façon
à un phénomène de bande mettant en jeu une conquête
spatiale.“ (BAZIN 1995, pp. 192-193). Sur les graffiti de “gangs“,
voir VAN TREECK 2001, p. 123.
140 GOTTLIEB 1976, pp. 78-80.
141 Le premier rôle de la signature dans les documents officiels est d’attester
de la présence de la personne concernée : voir FRAENKEL 1992,
pp. 30-33.
142 Voir ANNEXE 3, question 29. C’est le propre de la signature autographe
d’être permanente et reproductible : voir FRAENKEL 1992, p. 10.
143 FRAENKEL 1992, p. 119.
144 A propos du concept de “ductus“, voir STIENNON 1995, pp. 78-80.
145 Voir l’article sur Apelle et Protogène. Le “ductus“
équivaut ici à une signature (LECOQ 1974) pp. 46-47. Pour Vincens-Villepreux
(VINCENS-VILLEPREUX 1994, p. XXVI), “L’éternelle question
est de savoir si le style peut se passer de signature et si la signature suffit
à accréditer un style“.
146 Fraenkel écrit (FRAENKEL 1992, p. 13) : “Or la signature se
définit tout autant par sa nature visuelle et son caractère de
trace que par sa relation au nom propre.“.
147 Voir le premier chapitre de La signature, genèse d’un signe
(FRAENKEL 1992, pp. 128-158) traitant des rapports entre lettre et image au
sein de la signature. Sur l’aspect décoratif des lettres au Moyen
Age, voir aussi DRUCKER 1995, pp. 93-114.
148 Pour Azize (AZIZE 1973, p.113), le calligraphe aura toujours le désir
de se tourner vers l’image, afin de se poser en véritable créateur.
Certaines formes de calligraphie arabe n’ont qu’un rôle décoratif
ou sacré et ne sont plus même lisibles : voir SCHIMMEL 1990, pp.
2-7.
149 Alice Vincens-Villepreux utilise l’opposition “pictor“
contre “scriptor“ (VINCENS-VILLEPREUX 1994, p. XI et XVII).
150 Voir TIGHT 1996, pp. 32-33.
151 Voir JOUET 2001, p.112.
152 Voir note 85 et HENKEL, DOMENTAT et WESTHOFF 1993, p. 12.
153 Voir HIGH AND LOW 1991, p. 384.
154 A propos des rapprochements possibles entre tag et logo publicitaire, voir
BAZIN 1995, pp. 189-190 et WRITING ON.
155 ANNEXE 3, question 6.Voir l’article “Eradicating the Stain
: Graffiti and Advertising In Our Public Spaces“ (LUNA 1995) à
propos des relations parfois tendues entre publicité et graffiti.
156 Voir STYLE ONLY WORKGROUP 1996, 52-54.
157 Une telle composition pourrait d’ailleurs également entrer
dans la catégorie “Throw up“.
158 A propos des conflits entre scriptural et iconique, voir VINCENS-VILLEPREUX
1994, p. XI.
159 Voir STYLE ONLY WORKGROUP 1996, pp. 37-38 et GOLDSTEIN ET PERROTTA 1991,
p. 30-31.
160 Voir COOPER ET CHALFANT 1984, p. 17. Tight (TIGHT 1996, p. 38) va jusqu’à
parler de “conventional style“, sous-entendant que des conventions
assez fortes peuvent définir un “style classique“ de graff.
161 On fait souvent coïncider la naissance du graffiti hip-hop avec les
premiers tag de Taki 183, en 1971 (COOPER ET CHALFANT 1984, p. 14). En Allemagne,
il semble que les premiers graffiti hip-hop ne datent que de 1984 (GRAFFITI
AND STREET ART 1991, p. 307). En France, il faudrait, d’après Bazin
(BAZIN 1995, p. 169), attendre 1986-1987 pour assister à une véritable
explosion du phénomène. D’après Suter (SUTER 1998,
p.22), les premiers graffiti que les Chemins de Fer Fédéraux ont
eu à déplorer en Suisse datent de 1985. Actuellement, les traces
les plus anciennes de graffiti hip-hop à la Chaux-de-Fonds datent de
1988 (Ill. 43 et
44).
162 COOPER ET CHALFANT 1984. Sur la réception de ce livre, voir CHALFANT
ET PRIGOFF 1987, p. 8.
163 Sur l’importance du film Wildstyle, voir STAHL 1990, p. 145.
164 Par exemple l’émission Viva intitulée “La
planète hip hop“, qui est diffusée par la Télévision
Suisse Romande en 1992.
165 Les journaux Radikal, Groove, Graff It ! ou Art 322 se
trouvent en kiosque et proposent chaque mois plusieurs pages de photographies
de graffs. Les fanzines sont issus de nombreux pays et plusieurs sont spécialisés
dans le graffiti en Suisse : 14K, No limit, Nonstop, JVS, Aerosoul, It burns,
Make it better magazine, Number one. Certains voient même dans ces
magazines : “eine Art Ersatzkultplatz für die Writer“ (ANARCHIE
UND AEROSOL 1995, p. 50).
166 Voir http://www.graffiti.org/ et son nombre incroyable de liens vers des
sites sur le graffiti partout dans le monde. Sur le canton de Neuchâtel,
voir : http://www.evaziongraffik.net/, http://733.aero.fr/ et www.chez.com/tema.
167 Voir le point 3.3 de ce chapitre.
168 Domentat (HENKEL, DOMENTAT et WESTHOFF 1993, p. 13) utilise le terme de
“swing“ et les artistes comparent parfois leurs lettres au break
dancing (la danse du mouvement hip-hop) (MOUFARREGE 1982, p. 89).
169 Voir BISCHOFF 2000, p. 156 et MILLER 2000.
170 Riout (RIOUT 1985, p. 69) explique comment les graffeurs courent le long
des voies et utilisent parfois leurs deux bras pour couvrir rapidement des surfaces
plus étendues que celles dont ont besoin les tagueurs.
171 Lani-Bayle (LANI-BAYLE 1993, p. 73) parle d’un “ballet rythmé“.
Voir aussi la façon dont George Mathieu danse en travaillant : GRAINVILLE
ET XURIGUERA 1993, p. 10 et illustration
117. Pour Miller (MILLER 2002, p. 4) “These writers, far outdoing
action painters such as Jackson Pollock in their use of bodily motion, express
as much of their contemporary urban condition, including the influence of advertising,
new technologies, and anarchic impulses.“. Miller voit aussi dans le graffiti
hip-hop une forte relation avec la rythmique de la musique et de la danse africaine,
(MILLER 2002, pp. 37-41).
172 Sur l’importance cruciale du corps dans la calligraphie, voir FROLET
1982, pp. 30-31.
173 Voir TIGHT 1996, pp. 56-57 et JACOBSON 1996, pp. 114-115 pour une description
des différents procédés par lesquelles les lettres peuvent
être reliées entre elles.
174 Tight parle de “connected bars“ (TIGHT 1996, p.51).
175 Ces systèmes d’enchevêtrements complexes peuvent être
comparés à ceux qu’utilise la calligraphie arabe, dans lesquels
la composition elle-même est plus importante que les lettres. Voir : SCHIMMEL
1990, pp. 10-11.
176 Cooper et Chalfant (COOPER ET CHALFANT 1984, p.62), décrivent une
œuvre aboutie comme “an energetic interlocking construction of letters
with arrows and other forms that signify movement and direction“.
177 A propos de l’allongement des lettres dans la calligraphie arabe,
voir : MASSOUDY 2002, pp. 28-29. Comme pour le graff, les allongements sont
fréquents mais ne doivent pas nuire à l’équilibre
global de la composition.
178 Voir STYLE ONLY WORKGROUP 1996, pp. 37-40, TIGHT 1996, p. 104.
179 Voir chapitre 3.
180 Voir aussi le point 1.1 de ce chapitre.
181 LEMOLLE 1988, p. 192.
182 COOPER ET CHALFANT 1984, pp. 14-17.
183 VAN TREECK 2001, p. 158.
184 Voir TIGHT 1996, p. 58 à propos des rapports entre couleurs et visibilité.
185 A propos des différents types de phylactères, voir FISCHER
1986, pp. 225-227. Sur l’importance de la notion de “choc“
dans le mouvement hip-hop, voir JACOB 1996 (1), p. 134.
186 STYLE ONLY WORKGROUP 1996.
187 Voir le point 3.3 de ce chapitre et TIGHT 1996, p. 48.
188 Voir BOMBING AND BURNING 1999, pp. 124-131, HIGH AND LOW 1991, p. 377 et
STYLE ONLY WORKGROUP 1996, pp. 10-11.
189 Voir DRUCKER 1995, pp. 280-284 et MOUFARREGE 1982, p. 92.
190 STIENNON 1973, pp. 107-110.
191 Voir point 3.3 e) de ce chapitre.
192 Voir DRUCKER 1995, pp. 96-97.
193 Rammellzee, dans un exposé important bien que souvent très
difficile à suivre, parle d’un “Panzerism style“ (RAMMELLZEE
2000) et voit les lettres comme des armes en puissance. Dans une interview,
il parle d’armement des lettres (MOUFARREGE 1982, p. 92).
194 WOODWARD 1999.
195 JACOBSON DICTIONARY sous “Bars“.
196 JACOBSON 1996, pp. 93-95.
197 Voir ANNEXE 3, question 33 et chapitre 3, point 1. On peut comparer ce procédé
à la signature emblématique qui permet d’attribuer un tableau
par un symbole répété dans différentes œuvres
par le même artiste : voir LA SIGNATURE EMBLEMATIQUE 1974 , p. 31.
198 Lani-Bayle résume ainsi la situation “On offre, mais de l’incompréhensible.
On communique, mais de l’hermétique. On signe, son anonymat. Pour
y pénétrer, il faut s’initier à l’art du signe,
franchir la porte de l’esthétisme – il faut le vouloir“.
(LANI-BAYLE 1993, p. 76). Voir aussi MILLER 1991 (1).
199 Lunatic, “Si tu kiffes pas... “, sur le disque LUNATIC 2000.
200 Diederichsen (DIEDERICHSEN 1992 p. 114) met le doigt sur la même idée
dans son article dont le titre cite le groupe Cypress Hill : “Here Is
Something You Can’t Understand“.
201 STYLE ONLY WORKGROUP 1996, pp. 30-36.
202 Voir aussi la définition plus que vague du “wildstyle“
par Jacobson (JACOBSON DICTIONARY sous “Wildstyle“) et les catégorisations
de Woodward (WOODWARD 1999), Bazin (BAZIN 1995, pp. 170-175) ou encore DUMKOW
1999, 25-29.
203 Voir le point 3.3, d) de ce chapitre.
204 STYLE ONLY WORKGROUP 1996, p. 33.
205 STYLE ONLY WORKGROUP 1996, p. 34.
206 STYLE ONLY WORKGROUP 1996, p. 34.
207 STYLE ONLY WORKGROUP 1996, p. 35.
208 CDF FORCE.
209 A ce propos voir aussi le point 1.2 de ce chapitre .
210 Voir le point 3.4 de ce chapitre.
211 Voir TIGHT 1996, p. 104.
212 A propos du sampling dans le rap, voir SHUSTERMAN 1996, p.169.
213 Voir point 3.3 e) de ce chapitre.
214 A propos du concept de “creolizing“, voir MILLER 1994, MILLER
1991 (1), MILLER 1991 (2) et MILLER 2002, pp. 16-17, 33-35, 37-41.
215 Voir RIOUT 1985, p. 69, BISCHOFF 2000, pp. 96 et 132 et GILLER 1997.
216 Voir le catalogue de l’exposition High & Low (HIGH AND LOW 1991)
qui s’intéresse aux relations entre l’art reconnu et diverses
formes d’art “marginales“. Comme le note Miller (MILLER 2002,
pp. 172-175), la démarche de Roy Lichstenstein qui agrandi des images
de bandes-dessinées et très proche de celle des writers.
217 POSCHARDT 1996, p. 100.
218 DANTO 1996, p.16.
219 DANTO 1992, p. 30 et DANTO 1996, pp. 297-298.
220 BELTING 1989, p. 79.
221 Voir MILLER 2002, pp. 35-37, HIGH AND LOW 1991, pp. 382-383, VULBEAU 1992,
p. 25 et COOPER ET CHALFANT 1984 pp. 80-89. Sur l’incorporation des héros
populaires en dans le graffiti, voir MILLER 1991 (2).
222 A propos du créateur de ce personnage, Vaughn Bode, voir CHEECHWIZARD
2003. Sur l’utilisation du Cheech Wizard et des lettres arrondies qui
l’accompagnent dans le graffiti, voir MARKBODE 2003.
223 Voir aussi le point 3.2 c) de ce chapitre.
224 Voir PFORTE 1974, p.104.
225 NUMERO 6 1997, p. 64.
226 NUMERO 6 1997, p. 64.
227 Le site POKEMON 2003 en présente les personnages.
228 Voir MILLER 1991 (2) et JACOBSON DICTIONARY sous “Fantasy, SF and
TTP“.
229 Le personnage de l’illustration
151.
230 A propos de l’autoportrait comme signature dans l’art en général,
voir LEBENSZTEJ 1974, p. 53. Sur le même thème, dans le graffiti
hip-hop, voir MILLER 2002, pp. 41-45.
231 Chanson “SCRED CONNEXION“ sur SCRED CONNEXION 2000.
232 ASSASSIN 1993.
233 MOUFARREGE 1982, p. 92.
234 HÜBL 1984, pp. 191-192. Voir également le traité de Rammellzee
(RAMMELLZEE 2000) où il inscrit le graffiti hip-hop dans une perspective
historique et MOUFARREGE 1982, p. 90 pour les liens qu’il fait entre écriture
gothique et graffiti. Voir aussi STYLE ONLY WORKGROUP 1996, pp. 24 - 26.
235 Sur l’aspect décoratif des lettres médiévales,
voir DRUCKER 1995, pp. 108 - 114 et Stiennon (STIENNON 1995 pp. 85-89) qui pose
la question de savoir si l’initiale ornée est une lettre ou une
image .
236 Schmoo affirme quant à lui visiter le Getty Museum de Los Angeles
pour sa collection de manuscrits enluminés . Il dit également
“Not all graffiti writers know that kind of history, but if you showed
it to them, they would be able to see the correlation“ (FARRELL 1994).
237 UNO reprend ici une image de la série de télévision
“Sheriff fait-moi peur“, voir : SHERIFF FAIT-MOI PEUR 2003.
238 Les Skids sont un group punk fondé à la fin des années
1970, voir : SKIDS 2003.
239 Voir MILLER 2002, pp.24 - 109, MILLER 1991 (1), MILLER 1991 (2) et MILLER
1994. Voir aussi DUMKOW 1999, pp. 247 - 250 et Jacob (JACOB 1996 (2), pp. 174
- 175) qui parle de “Patchwork der Minderheiten“.
240 Sur le jeu d’attraction et de répulsion entre art contemporain
et culture populaire, notamment chez Koons, voir HIGH AND LOW 1991, pp. 369-370.
241 Voir chapitre 3.
242 Voir GOLDSTEIN ET PERROTTA 1991, p. 29 et MILLER 2000.
243 A propos du concept de “style war“, voir VAN TREECK 2001, p.
374 et le chapitre “Letter battles“ dans MILLER 2002, pp. 117-122.
Voir aussi MILLER 2000 et TIGHT 1996, pp. 34 et 81.
244 Voir TIGHT 1996, p. 54.
245 Tight (TIGHT 1996, p. 51) note par ailleurs que le développement
de nouvelles formes est accéléré par le fait qu’un
graffeur qui développe une nouvelle lettre doit immédiatement
en créer de nouvelles qui sauront l’accompagner dans une composition
complète.
246 Voir le témoignage de Sharp qui laisse entendre que des formes abstraites
peuvent très bien lui servir de signature (MILLER 2000).
247 Voir le point 1.2 de ce chapitre.
248 Voir ANNEXE 3, question 2.
249 Tight, dans un chapitre appelé “The ongoing legacy“,
semble même estimer que les formes du graffiti hip-hop sont arrivées
à maturité et qu’on ne procède, ces dernières
années, plus que par imitation de modèles déjà existants
(TIGHT 1996 pp. 68-81). Vulbeau écrit quant à lui que le œuvres
françaises ne sont que des copies des tags et graffs américains
(VULBEAU 1992, pp. 59-60). Voir aussi le témoignage d’un crew parisien
qui dit entretenir des relations directes avec les graffs new-yorkais (BISCHOFF
2000, p. 103).
250 Voir point 3.2 de ce chapitre.
251 A ce propos, voir RIOUT 1985, p. 73. Voir aussi, sur les particularismes
européens : BOSMANS ET THIEL 1995, pp. 308-309,
252 Sur cet artiste, voir DAIM 2003.
253 Voir HISTOIRE DU JEU VIDEO 2003.
254 Wölfflin définit ainsi la différence entre linéaire
et pictural, en parlant du passage entre art classique et art baroque : “Dans
le premier cas, l’accent porte sur les limites des objets, dans le second,
l’apparition joue hors de limites précises.“ (WÖLFFLIN
1915, pp. 15-16).
255 Sans vouloir entrer dans un formalisme excessif, ni opposer un “style
classique“ à un “style nouveau“ dans le graff, notons
tout de même que plusieurs des concepts avancés par Wölfflin
pour marquer le passage du classique au baroque (passage du linéaire
au pictural, d’une présentation par plans à une présentation
en profondeur, de la forme fermée à la forme ouverte, de la clareté
absolue à la clareté relative), sont proches de ceux que nous
évoquons ici à propos de nouveaux développements du graff
(WÖLFFLIN 1915 , pp. 15-17).
256 Voir le point 3.2 a) de ce chapitre
Chapitre précédent | Table des matières | Chapitre suivant |