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Conclusion

 

 

 

1.1 Nouveaux supports, nouvelles formes


L’analyse esthétique du graffiti hip-hop ne peut être dissociée de l’analyse de ses supports. Les premières formes qui ont vu le jour à New York étaient déjà une réponse directe aux conditions qu’offraient alors le métro. A la Chaux-de-Fonds aujourd’hui, on remarque que le type de support joue un rôle primordial dans le choix des formes utilisées. La répression, changeant le rapport au support, joue d’ailleurs un rôle important dans le cantonnement des graffs en certains endroits précis. Des formes différentes, créées en toute tranquillité, devant répondre à la saturation et s’adressant à un public restreint voient alors le jour.


Dans le futur, nul doute que le graffiti hip-hop va continuer à trouver des réponses inédites aux nouvelles conditions de création qu’il va rencontrer.

 

 

 

1.2 Murs virtuels


Si le support originel du graffiti hip-hop est le métro new-yorkais, c’est avant tout parce qu’il offrait alors aux artistes le meilleur réseau de diffusion disponible (note 312). Aujourd’hui, l’internet commence à être utilisé par les writers, pour les mêmes raisons. Des sites jouant le rôle d’un musée qui exposerait tags et graffs du monde entier en s’appuyant sur une diffusion rapide et élargie se sont développés. Aujourd’hui, on peut observer les prémisses d’une nouvelle utilisation de l’internet comme support pour des œuvres originales (note 313). Tags et graffs embellissent ainsi le graphisme de sites d’artistes régionaux (Ill. 218). Ce nouveau support demande la maîtrise de nouvelles techniques comme le “scanning“ ou l’utilisation de logiciels d’imagerie “3d“. Certains artistes comme Zedz se sont même déjà spécialisés dans le graffiti virtuel en créant par exemple des animations qui nous amènent à l’intérieur de constructions complexes en trois dimensions (Ill. 219).


Dans un futur proche, on peut imaginer de véritables murs virtuels qui pourraient servir, sur l’internet, de support et de terrain d’échange aux writers du monde entier (note 314). On peut également supposer que l’aspect revendicatif et illégal ne sera jamais complètement dénigré ; à quand alors les sites internet graffés illégalement ?

 

 

 


1.3 Diversification des techniques


Plutôt que de se plier aux exigences des galeries ou des musées en créant des toiles aux dimensions restreintes, créant des œuvres qui ne seraient que de pâles substituts des originaux, certains writers réfléchissent aux exigences et aux possibilités nouvelles qu’offrent l’institution. On assiste alors à une diversification des techniques et à la création de graffiti hip-hop s’éloignant des techniques traditionnelles sans pour autant se détourner de leur sujet initial : l’alphabet. Ainsi, un graffeur comme Daim, ayant acquis sa notoriété dans la rue (note 315), se tourne par exemple vers la sculpture (Ill. 220) ou vers la gravure (Ill. 221). En changeant de technique, il peut ainsi créer des œuvres s’adaptant mieux à l’exposition et à la vente que des graffs sprayés sur d’immenses murs de béton, tout en proposant un travail proche de celui pour lequel il est reconnu avant tout. Sa démarche est à l’opposé de celle d’artistes comme Soy qui, en passant de la rue à l’exposition en intérieur, ont choisi de garder la même technique, le spray, quitte à changer totalement de sujet.

 

 

 

 

1.4 Retour à la rue


Le futur du graffiti hip-hop ne passe pourtant certainement pas uniquement par un changement de supports. On peut penser que les writers auront toujours à cœur, même si de nouvelles possibilités s’offrent à eux, de garder un lien avec le mur, comme ils gardent un lien avec le train aujourd’hui malgré la diversification des supports utilisables. La répression peut certes pousser les artistes à éviter autant que possible les lieux à risque, mais elle peut aussi être le point de départ de nouvelles réflexions pour trouver des moyens de la contourner. Ainsi, des œuvres signées UNO (Ill. 222), à Neuchâtel, en utilisant du papier collé sur des murs de béton, cherchent à retrouver la taille du graff alors que les autocollants se contentent en général de présenter des productions minuscules. Nul doute que l’inventivité des writers va toujours leur permettre de trouver le moyen d’adapter l’œuvre à des conditions de créations nouvelles.

 

 

 

 

2. Pistes à explorer


Dans les limites de ce travail, nous n’avons pu étudier que les relations entre formes et supports en ville de la Chaux-de-Fonds. Il serait passionnant de pouvoir élargir géographiquement le cadre de recherche pour comprendre comment chaque territoire peut avoir ses propres supports, ses propres particularités et, par conséquent ses propres formes. Il suffit de jeter un œil sur les graffiti du centre de Neuchâtel pour se rendre compte que des différences capitales existent entre cette ville et celle qui nous a servi de cadre de recherche. Sans entrer trop dans les détails, les graffs illégaux sont beaucoup plus nombreux à Neuchâtel, et ce dans des endroits extrêmement en vue comme les rues piétonnes de la vieille ville ou la ruelle Vaucher qui mène à la gare (Ill. 223). Si la quasi-totalité des œuvres illégales récentes de la Chaux-de-Fonds sont des tags, cela ne semble donc pas du tout être le cas à Neuchâtel. Les writers eux-même sont d’ailleurs conscients de cette différence et en sont parfois attristés (note 316). Si l’on ajoute à cette réalité le fait que bien des artistes travaillent dans les deux villes parallèlement et qu’il y produisent des œuvres parfois fort différentes (Ill. 113 à La Chaux-de-Fonds et Ill. 224 à Neuchâtel) on comprend que les conditions de création liées au lieu sont capitales. Comme l’explique le caporal Paillard (note 317), la politique répressive est plus stricte à la Chaux-de-Fonds et plusieurs artistes tentent de s’exiler, au moins pour produire des œuvres illégales, dans le bas du canton. Ainsi, le nombre total de graffiti hip-hop à la Chaux-de-Fonds est bien moins élevé qu’à Neuchâtel. Par conséquent, le besoin de s’afficher dans des endroits très en vue, avec des formes qui doivent être réalisées rapidement tout en s’assurant d’être remarquées le plus possible, est davantage ressenti à Neuchâtel que dans la cité horlogère. Les lieux saturés, à la Chaux-de-Fonds, sont des endroits où le graffiti est toléré, alors qu’à Neuchâtel, même des rues ne bénéficiant d’aucune protection juridique le sont. C’est pourquoi, alors qu’on a tendance dans le premier cas à vouloir se démarquer par une certaine originalité, on doit se contenter, dans le deuxième, d’agrandir au maximum son lettrage pour être remarqué. Là encore, seule la compréhension du support et des conditions qui y sont rattachées peuvent nous permettre de comprendre véritablement les formes elles-mêmes.


Appliquer les observations que nous avons pu développer au cours de ce travail à un cadre plus large et tenter d’établir un certain nombre de recoupements entre des œuvres éloignées géographiquement mais répondant à des supports de même type serait sans aucun doute une entreprise passionnante. S’intéresser aux relations entre formes et supports à une plus large échelle, géographiquement ou historiquement, serait certainement une façon d’apporter un développement intéressant à l’étude du graffiti hip-hop qui n’en est encore qu’à premiers balbutiements.

 

 

312 Voir TIGHT 1996, p. 28.
313 Dans un intéressant historique du graffiti, on peut lire : “The web is being utilized in a similar fashion in which the subway system was. People communicating across great boundaries. Bombing Cyberspace can not ever be expected to replace getting your hands dirty, but it has definitely become a facet of the writing culture.“ (HISTORY PART 2 2001).
314 A propos des relations entre graffiti hip-hop et l’internet, voir ANARCHIE UND AEROSOL 1995, pp. 42-43 et MILLER 2002, pp. 140-143.
315 Voir DAIM 2003.
316 Sur le forum du site EVAZION GRAFFIK, on peut lire : “dommage que Chaux-de-Fonds ne soit pas aussi bien défoncée et aussi souvent qu’en bas…“.
317 ANNEXE 3, questions 41 et 42.

 

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